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leurs silhouettes.....Évoqué par les différentes clartés des foyers, un peuple d'ouvriers, la pipe à la bouche, les reins cambrés, les bras levés ou le dos courbé, se raidit pour frapper, soulever, traîner. Des hommes mangent dans le coin le plus noir; d'autres, demi-nus, se lavent et s'essuient.

„Les gestes, les mouvements me rappellent Daumier; les forgerons qui se tiennent près des foyers ont l'oeil très dilaté et très brillant; je ne voudrais que ce trait pour me dire que cet artiste connaît, saisit le côté caractéristique d'un milieu, d'une situation.

„C'est très simple, très fort et très beau“. (Duranty)

Le Souper au bal n'est pas moins extraordinaire. Comme tableau de la société berlinoise, l'artiste n'a rien peint de plus vigoureux, de plus franc, de plus incisif. C'est un chef-d'oeuvre de sincérité ironique et, sans le vouloir peut-être, de cruelle satire, où la réalité, scrutée, soulignée par un observateur impitoyable, surgit à nos yeux avec son conflit d'élégances et de vulgarités, son pêle-mêle de ridicules, de gloutonneries cyniques, de politesses mensongères, sa cohue de chairs étalées, d'uniformes, de chamarrures, d'étoffes voyantes, avec le cliquetis des verres, des plateaux, le tourbillonnement des formes sous les ondées scintillantes, dans l'éclat vermeil de la lumière tombant des lustres.

Ceux qui, en art, sont touchés par l'humour profond d'un Hogarth pourront s'arrêter longtemps devant cet étonnant morceau.

Les tableaux de M. Menzel nous frappent par la vigueur, l'originalité du dessin et, si je puis dire, par la qualité supérieure de la construction. C'est aussi par la force de l'écriture et la netteté de l'accentuation que certaines de ses aquarelles s'imposent dès le premier coup d'oeil. On pourra reprocher à l'artiste de détourner ce procédé de ses grâces, de ses fraîcheurs, de ses libertés naturelles, et de lui demander une vigueur qu'il semble ne pouvoir donner; les aquarelles de M. Menzel, martelées à petits coups, serrées dans une enveloppe d'une précision rigoureuse, ont presque toujours, en effet, le relief et le fini de véritables peintures. Mais qu'importe, puisqu'elles sont oeuvres voulues, hardies, et qu'elles répondent nettement à une manière personnelle de voir et d'exprimer la nature?

Quelques pièces d'une perfection rare, parmi les aquarelles qui ont figuré à l'exposition des Tuileries, nous ont captivé au plus haut point; quatre surtout étaient des exemples admirables de cette puissance d'observation,