<256>sèrent le pays, pillèrent et désolèrent tout dans leur passage. C'en fut trop à la fois : le Brandebourg, énervé par le nombre des troupes qui en avaient subsisté, et qui l'avaient pillé les années précédentes, succomba enfin. La cherté y devint exorbitante : un bœuf s'achetait cent écus,a le boisseau de blé, cinq, l'orge, trois; et les espèces haussèrent de prix par leur rareté; la valeur numéraire du ducat fut évaluée dix écus.

Quelques gentilshommes, qui avaient soustrait leurs provisions à l'avidité des ennemis, voulurent profiter des circonstances de la disette : mais les paysans, qui n'avaient pas de quoi acheter ces grains, réduits au désespoir par la famine, assommèrent ces maîtres inhumains, et pillèrent leurs greniers.

La famine continua avec la même violence, la peste s'ensuivit, et la désolation parvint à son comble. Les restes de ces malheureux habitants que la mort et les ennemis avaient épargnés, ne pouvant tenir contre tant de calamités, abandonnèrent leur patrie infortunée, et se réfugièrent dans les pays voisins. Toute la Marche n'était qu'un affreux désert; elle offrait un spectacle déplorable de ruines, d'incendies, et de tous les fléaux qu'une guerre longue et furieuse entraîne après elle : à peine découvrait-on, sous tant d'horreurs et de saccagements, dans des lieux devenus tout sauvages, les traces des anciens habitants.

C'en eût été fait du Brandebourg, si Frédéric-Guillaume ne se fût obstiné à son rétablissement : sa prudence, sa fermeté et le temps vainquirent tous ces obstacles; il fit la paix, il prit des arrangements, et tira enfin l'État de sa ruine. Le Brandebourg devint effectivement un nouveau pays, formé du mélange de différentes colonies de toutes sortes de nations, qui s'allièrent dans la suite à ceux des anciens habitants qui étaient échappés à sa destruction. Soit que l'année fût


a On lit à la p. 145 de l'Enchaînure, dont le Roi a tiré les prix indiqués ici : « Deux bœufs de Pologne coûtaient 100 Rthlr. »