<XLIII>

AVANT-PROPOS. (1748.)

Rien ne devrait tant dégoûter d'écrire, que la multitude de livres dont l'Europe est inondée; l'abus que l'on fait de l'ingénieuse invention de l'imprimerie éternise nos sottises, et fournira à la postérité des jugements sévères sur la frivolité de nos ouvrages. Il semble, en effet, que l'on ait épuisé toutes les matières depuis le cèdre jusqu'à l'hysope : peut-être trois cents, peut-être même mille auteurs ont écrit des mémoires et des fragments de l'histoire de France; il n'y a pas de si petite république dont on n'ait composé une grande histoire; on a même fait l'honneur aux insectes de leur consacrer huit gros volumes in-4,a dont la reliure sert tout au moins d'ornement dans la bibliothèque des curieux. Il n'y a pas depuis les injures poliment dites jusqu'aux invectives grossières dont on n'ait d'amples recueils, qu'ont fournis ces querelles littéraires que l'envie excite parmi les savants; et il faut avouer que notre siècle est bien louable de s'occuper si laborieusement pour l'instruction du genre humain!

Ne dirait-on pas qu'un homme qui fait de semblables réflexions n'écrira jamais? Cependant cette fureur, ce mal épi-


a Allusion aux Mémoires pour servir à l'Histoire des insectes, par René-Antoine Ferchault de Réaumur, dont six volumes in-4 parurent de 1734 à 1742.