ÉPOQUE SECONDE.

Charlemagne prit enfin Brandebourg;249-55 et Henri l'Oiseleur, ayant entièrement subjugué les Saxons qui habitaient ces contrées, établit les margraves ou gouverneurs de frontières.249-56

Les mœurs s'adoucirent sous les margraves; mais le pays était très-pauvre : il ne produisait que les denrées les plus nécessaires à la vie; il avait besoin de l'industrie de ses voisins; et comme personne ne recherchait la sienne, l'argent ressortait en plus grande quantité qu'il n'entrait. Cette disproportion dans la circulation des espèces, qui allait toujours à leur diminution, baissait le prix de toutes choses; les denrées étaient à un si vil prix, que, du temps de l'électeur Jean II d'Ascanie, le boisseau de froment se vendait vingt-huit liards, celui de seigle, vingt-huit deniers,249-a et six poules s'achetaient au marché pour un gros.

Les Berlinois passaient dès lors pour des maris aussi fidèles que jaloux; les Chroniques249-57 en rapportent un exemple sensible. Sous la régence de l'électeur Othon de Bavière, un secrétaire de l'archevêque<250> de Magdebourg, voulant aller à Berlin aux bains publics, rencontra dans la rue une jeune femme de bourgeois, et lui proposa, en badinant, de se baigner avec lui. La femme se trouva offensée de cette proposition : le peuple s'attroupa; et les bourgeois de Berlin, qui n'entendaient pas raillerie, traînèrent le pauvre secrétaire dans une place publique, où ils le décapitèrent sans autre forme de procès. S'ils sont jaloux, du moins exercent-ils à présent des vengeances plus douces.

Le pays croupissait dans une misère affreuse sous la régence des princes des quatre premières races, et il n'en pouvait sortir, passant sans cesse d'une main à une autre. Othon de Bavière fut obligé de vendre l'Électorat à l'empereur Charles IV.250-58 Celui-ci s'établit à Tangermünde; il y tint une cour brillante, et y bâtit un assez vaste château, dont on voit encore les ruines. Pendant que Josse administrait le Brandebourg, les Vaudois, persécutés en France, se réfugièrent dans la ville d'Angermünde, à laquelle on donna le surnom d'Hérétique. On ne voit pas pourquoi les Vaudois cherchèrent un asile dans le Brandebourg, qui était alors catholique, et pourquoi ils y furent reçus, quoiqu'on détestât leur hérésie.

Les princes de la maison de Luxembourg foulèrent les peuples le plus impitoyablement; ils engageaient l'Électorat, dans leurs besoins, à ceux qui leur prêtaient les plus grosses sommes. Ces créanciers, qui regardaient ce malheureux pays comme une hypothèque, commettaient toutes sortes de vexations pour s'enrichir; ils y vivaient à discrétion, comme dans une province ennemie. Les voleurs infestaient les grands chemins; la police était inconnue, et la justice, hors d'activité. Les seigneurs de Quitzow et de Neuendorff,250-a indignés du joug odieux que portait leur patrie, firent une guerre ouverte aux soustyrans qui l'opprimaient. Dans cette confusion totale, et pendant cette espèce d'anarchie, le peuple gémissait dans la misère; les nobles<251> étaient tantôt les instruments, tantôt les vengeurs de la tyrannie; et le génie de la nation, abruti par la dureté de l'esclavage et par la rigueur d'un gouvernement barbare, demeurait engourdi et paralytique.


249-55 En 781 [789].

249-56 En 928 [927].

249-57 Lockelius, en 1364.

249-a Ces indications de prix sont tirées de l'Enchaînure, année 1280; mais il faut lire : « un boisseau de froment coûtait vingt-huit fenins ou liards, un boisseau de seigle, dix fenins, » etc.

250-58 En 1373.

250-a Holtzendorff.