<230>Dieu seul de ce grand tout est le conservateur,
Les saisons et les jours, c'est lui qui les dispense;
Mais de lui jusqu'à nous l'intervalle est immense.
Peut-être la matière, indocile à traiter,
Rebelle à ses desseins, a su lui résister.
Deux causes existant, égales en puissance,
L'agent n'a pu sur l'autre emporter la balance;
De deux mauvais partis il lui restait le choix,
Et sur le moins mauvais il a réglé ses lois.
Peut-être, en me voyant étaler ce système,
Votre raison, Mitchell, n'y souscrit pas de même;
Vous cherchez l'évidence en ces sujets obscurs;
Mais l'art conjectural a-t-il des côtés sûrs?
La matière éternelle et pourtant imparfaite,
Loin de vous contenter, vous choque et vous arrête.
A ces objections que répondrai-je, hélas!
Aucun objet parfait ne me frappe ici-bas;
L'homme a contre l'erreur des armes offensives,
Mais ses opinions manquent de défensives.
Le mal est dans le monde, il n'est que trop certain;
On ne peut l'en bannir, on le déguise en vain.
Pour ne point voir en Dieu le promoteur du crime,
J'en charge la matière, elle en est la victime;
Je défends la bonté, l'honneur de l'Éternel,
Je puis mal deviner sans être criminel.
Mais on me presse encore, on s'efforce à me dire
Que nous sommes heureux. Hélas! je le désire;
Mais pour me le prouver, ne pleurez donc jamais,
Que je n'entende plus ni soupirs ni regrets.
Notre sort, me dit-on, ne paraît point étrange;
Dieu plaça les humains entre la brute et l'ange.