<122>L'audace osa forger les livres sibyllins,
La légende s'enfla de faux martyrs chrétiens,
On supposa, depuis, de fausses décrétales,
Et la religion n'offrit que des scandales.
Faut-il, pour appuyer la simple vérité,
Qu'un mensonge odieux souille sa pureté?
Jamais Newton ni Locke, en leur philosophie,
N'ont mêlé des poisons aux sucs de l'ambroisie;
L'expérience en main, ils surent se guider,
Ils prouvent; c'est ainsi qu'il faut persuader.
Mais si l'on en croyait la troupe consacrée,
En soutane, en rabat, à tête tonsurée,
Dieu, qu'ils nous ont dépeint tout aussi méchant qu'eux,
Deviendrait un objet indigne de nos vœux.
Ils l'ont fait le tyran le plus inexorable,
Pour assouvir sa rage, il rend l'homme coupable;
Non content d'exercer sur lui sa cruauté,
Il prétend le punir durant l'éternité.
Si Lucifer sur nous eût usurpé l'empire,
Notre condition ne pourrait être pire.
Ce n'est point là le Dieu dans mon cœur adoré;
Le mien doit mériter un hommage éclairé.
La terre me l'indique et le ciel me l'annonce,
Un but marqué dans tout en sa faveur prononce :
Mon estomac digère, et des sucs nourrissants
Vont réparer mon être et prolonger mes ans;
Mon œil est fait pour voir, l'oreille pour entendre,
Le pied pour me porter, le bras pour me défendre,
Et si j'ai de l'esprit, celui dont je le tiens
En doit posséder plus que n'en ont les humains :
Qui pourrait me donner ce qu'il n'a pas lui-même?