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IX. ÉPITRE.205-a

Enfin, le triste hiver précipite ses pas,
Il luit, enveloppé de ses sombres frimas :
Le soleil reparaît au sommet des montagnes,
Ses rayons renaissants ont fondu les glaçons,
Les torrents argentins tombent dans les vallons,
Et coulent humecter les arides campagnes.
Dans les antres du Nord les fougueux aquilons,
Les autans et Borée ont cherché leur asile;
L'approche du printemps, le souffle des zéphyrs
Rend le sein de la terre abondant et fertile,
Et ramène aux mortels la saison des plaisirs;
Et la nature décrépite,
Que l'hiver a pendant cinq mois
Engourdi sous ses froides lois,
Du sommeil du tombeau triomphe et ressuscite,
Ainsi que le ver chrysalide
Ressort de son cocon plus brillant qu'autrefois.
La jeune, la charmante Flore,
<206>Dans ces jours doux, clairs et sereins,
Incessamment va faire éclore
Ses fleurs, l'ornement des jardins.
L'air rempli de parfums, la chaleur, tout conspire,
Pendant ces beaux jours revenus,
Pour étendre le doux empire
Que sur tout être qui respire
Exerce l'aimable Vénus.
Déjà son nouveau charme inspire
L'amour qu'en gazouillant expriment les oiseaux :
Elle échauffe l'instinct des habitants des eaux;
Par elle le berger pour sa Phyllis soupire.
Tandis qu'un même amour enflamme ses troupeaux;
Reine de la nature, elle amollit et touche
Le cœur sanguinaire et farouche
Des tigres, des lions, des cruels léopards :
Les accents de sa belle bouche
Désarmèrent jusqu'au dieu Mars.
Tandis que toute la nature
S'abandonne à l'instinct d'une volupté pure,
Quand les feux de l'amour viennent tout ranimer,
Quand l'air ne retentit que du tendre murmure
Des amants qui sous la verdure
Chantent le doux charme d'aimer,
Hélas! par une loi trop dure,
Un austère devoir nous force à nous exclure
Des plaisirs enchanteurs que je viens de nommer,
Et l'honneur et la gloire altière
Nous entraînent dans la carrière
Où l'implacable Mars au regard inhumain,
<207>Parmi des tourbillons de flamme et de poussière,
Fait dans des flots de sang rouler son char d'airain.
Là, sans cesse occupés par des exploits rapides,
Au lieu des tendres yeux de Glycère ou d'Iris,
Nous verrons ceux des Euménides;
Au lieu de doux concerts nous entendrons leurs cris.
Parmi le meurtre et les débris,
Encourager aux parricides
Ces guerriers de la gloire épris,
Et nos défenseurs intrépides.
Lorsque tout l'univers ne paraît aspirer
Qu'au noble emploi de réparer
L'affreux dépeuplement, la mémorable perte
Que l'espèce humaine a soufferte,
Que la nature enfin ne paraît s'occuper
Que du plaisir de reproduire,
Notre sort ennemi nous condamne à détruire
Ces restes de guerriers qui purent échapper
A la faux du trépas, toujours prête à frapper.
Fatal aveuglement, malheureuse folie,
Qu'à l'héroïsme l'homme allie,
Et qui semble le pervertir!
Dans sa profusion, la nature féconde
Aux mortels n'a pu départir
Qu'un moyen pour entrer au monde;
Il en est cent pour en sortir.
Loin de diminuer le nombre
De ces chemins semés de douleurs et de maux
Qui mènent à l'empire sombre,
Nous en inventons de nouveaux.
<208>Ah! quelle fureur nous enivre,
Pour immoler à Mars nos plus tendres désirs!
Qu'il en coûte, ô gloire, à te suivre!
Nous avons deux moments à vivre,
Qu'il en soit un pour les plaisirs.


205-a Voyez t. XII, p. 170-173.