<114>Ces agents immortels, les principes des choses,
Vous jugez des effets, en ignorant les causes.
L'antiquité soutient que par vos arguments
Vous avez subjugué l'emportement des sens.
Et que des malheureux, dès qu'ils vous entendirent,
En essuyant leurs pleurs, chez vous se réjouirent.
J'étais désespéré, plongé dans la douleur,
Lorsqu'un trépas subit eut enlevé ma sœur.13
J'appelais Uranie; elle vint à mon aide,
Condamna mes regrets sans y porter remède,
Appuya sur le mal et sa nécessité,
Blâma stoïquement ma sensibilité :
Son austère froideur me fut insupportable.
Tout n'est que vanité; ce monde misérable
Nous promet mille biens, comme ce charlatan
Qui d'un air effronté vend son orviétan;
On l'avale à longs traits, séduit par l'espérance.
Et l'on est bien puni par sa propre imprudence.
On cherche le bonheur, on voudrait le saisir,
On croit l'apercevoir, on brûle d'en jouir.
Ici, la volupté, plus loin, c'est la science,
Ou c'est le héroïsme, ou l'altière puissance;
Là, ce sont des trésors qu'on veut accumuler;
Tant l'homme en ses désirs est fait pour s'aveugler!
Il n'approfondit rien, croit sans qu'il examine;
Sa passion l'emporte, il rêve, il imagine;
Son fantôme à ses yeux est un être réel.
Ainsi, cher d'Alembert, l'objet essentiel
Est de détruire en soi la brillante chimère
De ce bonheur parfait, inconnu sur la terre,


13 La margrave de Baireuth.