<286>Eugène.

Je ne reconnaîtrais plus l'Europe! Sans doute que cette maison impériale dont j'ai étendu et même affermi la puissance a fait de grands progrès, et s'est immensément accrue depuis mon temps?

Lichtenstein.

Ce n'est pas précisément cela; car depuis votre mort, après avoir été battus par les Turcs, les Prussiens et les Français, nous avons perdu une demi-douzaine de provinces; mais ce sont des bagatelles.

Eugène.

Vous êtes inconcevable. Si vous avez tant perdu, quels progrès avez-vous pu faire?

Lichtenstein.

Nous avons perfectionné nos finances; avec la moitié des provinces qui nous restent, nous avons plus de revenus que n'en eut jamais Charles VI avec le royaume de Naples, tout le Milanais, la Servie, la Silésie et Belgrad. Et quant au militaire, nous entretenons cent soixante mille hommes, que vous ne pûtes jamais payer de votre temps. Pour moi, j'ai travaillé à l'artillerie; j'ai dépensé trois cent mille écus de mon bien pour la mettre sur un bon pied.a Aussi une armée ne se meut-elle plus à moins de traîner quatre cents bouches à feu à sa suite. Vous n'entendiez rien à cet usage de l'artillerie, qui fait de nos camps des forteresses. A peine aviez-vous trente canons dans votre armée.

Eugène.

Il est vrai; mais avec ce peu de canons je battais l'ennemi, et ne me laissais pas battre.


a Voyez t. IV, p. 10.