<125>

XXVI. ÉPITRES A L'ABBÉ DE PRADES.

I. SUR SON EXCOMMUNICATION.

Heureux abbé, que la nature
Ne forma point sur l'encolure
De ces mystérieux docteurs,
Scolastiques sorboniqueurs,
Vous avez bravé la censure
De tous ces ânes à tonsure,
Superstitieux zélateurs,
Osant opposer Épicure
Aux ramas des vieilles erreurs
Dont ils consacrent l'imposture.
Au gré de ma sagacité,
Rien, dans toute l'histoire antique,
N'égale ce trait héroïque.
Depuis Gerson, la vérité
<126>De nulle oreille scolastique
Ne frappa de sa dureté
Le tympan vraiment catholique.
Voyez la belle absurdité :
D'abord la cohorte ennemie
En hâte vous excommunie,
Détestant vos sages propos.
A cette balourde ânerie
Qui ne reconnaît les dévots?
Ma foi, c'en est la bonne marque.
Mais le ciel bénit mon abbé;
Un vieux radoteur d'Aristarque,
Dans sa crasse erreur embourbé,
Vous fait brevet d'hérésiarque,
Bonheur digne d'être envié
Par le plus fortuné monarque.
Quel bien d'être excommunié,
Et de vous voir associé,
Encore à la fleur de votre âge,
A Mahomet, Luther, Pélage,
Peut-être même à Spinoza!
Non, jamais on ne commença
Une plus brillante carrière.
En entrant dans la barrière
Vous paraissez, que sur-le-champ
Le pape tremble au Vatican;
Des chapeaux rouges la cohue
Juge que l'Église est perdue
Par l'œuvre d'un étudiant.
On assemble le grand divan,
Et toute la gente tondue
<127>Contre vous sévit, crie, argue.
« Frères, c'est l'œuvre de Satan,
Dit un prélat à voix aiguë;
Il raisonne, ou j'ai la berlue,
Plus juste que notre Alcoran.
Je vois notre grandeur déchue,
Pourquoi je trouve expédient
Que, sans que son œuvre soit lue,
On brûle sa thèse à l'instant. »
Abbé, vous devenez profane,
Tout prélat en hâte vous damne,
D'interdire vous fait l'affront
De ces lieux dont tomba la manne,
Certe où ni vous ni moi n'irons.
Est-ce ainsi donc que d'une thèse
On récompense les bons mots?
En vérité, graves cagots,
Saints mitrés, ne vous en déplaise,
Je crois qu'en votre diocèse
La grâce éclaire les dévots;
Pour le bon sens, c'est autre chose.
Ne provoquez point son compas;
Craignez surtout, pour votre cause,
Qu'Apollon ne juge Midas.
Pour vous, de Lock nouvel apôtre,
Laissez tous ces bonnets fourrés,
De reliquaires entourés,
Balbutier leur patenôtre,
Sur Escobar perdre leur temps,
Débiter cependant aux nues
Leur tas de visions cornues,
<128>En injuriant le bon sens.
Laissez-leur passer les revues
Des subtilités inconnues
Des sages, les seuls vrais savants,
Foudroyer de leur anathème,
Et refuser les sacrements,
Ou, si vous voulez, le baptême
A la horde des vrais croyants :
Qu'importent ces égarements?
Mais quand sur vous la foudre gronde,
Damné pour damné, cher abbé,
Jouissez des biens de ce monde.
Qu'à la table la jeune Hébé
Vous verse la liqueur charmante
D'un doux nectar fait pour les dieux;
Qu'au lit une beauté touchante
Réveille cette ardeur bouillante
De vos désirs séditieux;
Que la volupté vous enchante
Par ses présents délicieux.
Suivez ainsi la douce pente
Que la nature bienfaisante
Donne à vos sens ingénieux;
Et croyez que ces saints qu'on vante
Diront un jour en paradis :
Non, dans les biens qu'on nous octroie,
Rien n'égale la vive joie
Qui remplit ces heureux maudits.

Ce 28 de décembre 1755.

Fr.

<129>

II. SUR SA RÉCONCILIATION AVEC L'ÉGLISE.

Cher abbé, je l'avais bien cru,
L'on se repent de ses bévues.
Vos gens à couronnes tondues
De leur jugement incongru
Sentent leurs entrailles émues;
Ils cherchent les brebis perdues.
On parle sur un autre ton;
On veut, sans qu'on s'en scandalise,
Ramener le bouc au giron
De la bonne mère l'Église.
Le Saint-Esprit, qui fait beaucoup,
Se mêle aussi de cette affaire;
Mais il a choisi, pour le coup,
Un plaisant fou pour son vicaire.
Profondeur des conseils divins,
Quand ta puissance se déploie,
Elle connaît plus d'une voie
Pour sauver les pauvres humains.
Ce dieu compté le troisième,
Cadet de l'essence suprême,
Pour retirer le pauvre abbé
Du crime auquel il est tombé
Ne choisit point pour son organe
Un personnage édifiant;
<130>Il prend dans le peuple profane
Un bon damné, très-mécréant.
Ce bon damné, sans préambule,
Qu'il a choisi selon son cœur,
Choix que je trouve ridicule,
C'est, abbé, votre serviteur.
Le cardinal le plus crédule
N'en croirait rien, sur mon honneur;
Mais il aurait tort, par malheur.
Heureux qui peut sauver son âme
Des feux de l'éternelle flamme!
Cent fois plus heureux, à mon sens,
(Soit cependant dit sans malice)
Qui peut trouver un bénéfice
Et son salut en même temps!
De gagner l'un ainsi que l'autre
Un jour s'entêta notre abbé;
L'air humble, avec son patenôtre,
A l'autel il vint à jubé.
Certain quidam que je ne nomme,
Mais que je crois un roi du Nord,
Écrivit au mufti de Rome,
Pour maquignonner leur accord.
Sa Sainteté très-politique
Trouva dans son missel romain
Qu'elle peut, par un parchemin,
De toute souillure hérétique
Purger un cerveau catholique,
Qui, remis dans le bon chemin,
Va droit au paradis bénin.
Ne pensez pas, quoique poëte,
<131>Que ma muse révèle tout.
Je saurai cacher jusqu'au bout
Certaine anecdote en ma tête,
Quoique le fait soit curieux.
Que de bons mots j'aurais à dire!
Mais Dieu me garde de médire.
Suffit qu'un prélat très-pieux
Ramena le bouc odieux
Dans le grand bercail de son maître.
La chose vint à se connaître.
Jamais, dans Rome, dans Paris,
Le bruyant fracas de la gloire,
La nouvelle d'une victoire
Ne fit sur les peuples surpris
Des impressions plus étranges.
La Sorbonne, qui rit aux anges,
Pour l'abbé changea ses mépris
En des cantiques de louanges.
On bénit le vil instrument
De l'Esprit-Saint, quoique hérétique,
Le prélat et son pénitent,
Et toute la troupe comique
Qui fit revenir humblement
L'abbé de son égarement.
Ah! que nos vertus sont menues!
Qu'il est bon, pour plus d'un sujet,
Que des tubes aux courtes vues
De loin agrandissent l'objet!
Qui dans les secrets de l'Église
Est initié comme nous
Ne peut remarquer sans surprise
<132>Que des saints, dévotement fous,
Souvent révèrent à genoux
Les absurdités qu'on méprise.
Abbé, dans vos nouveaux destins,
Que dire de la Providence,
Qui, se moquant des capucins
Et de tous les ignaciens,
Qui vous ont tous damné d'avance,
Vous fera quelque jour en France
Encenser, niché chez les saints?
Mais ne vous pressez point, pour cause;
Si dans votre métamorphose
Vous déférez à mes avis,
Et si mes conseils sont suivis,
Différez votre apothéose.
Si j'étais votre directeur,
Grand casuiste et confesseur,
Je vous dirais bien autre chose;
Si j'étais pape, en bon pasteur,
On me verrait pour tout pécheur
Plein d'une tolérance étrange;
Si j'étais du ciel un bel ange
Qui parût en votre faveur,
J'expliquerais plus d'un mystère
Auquel nous ne comprenons guère :
Mais je ne suis qu'un pauvre roi;
Ainsi donc il est force à moi,
En riant tout bas, de me taire.

Ce 28 décembre 1755.

Fr.