<170> parti votre paresse doit prendre; ce sera toujours indépendamment de mon amitié, qui est inaltérable.
J'ai fait, la semaine passée, une action tout à fait héroïque, m'étant fait saigner. Le chirurgien m'a manqué, et je lui ai si bien remis le cœur au ventre, qu'il a mieux réussi pour la seconde fois. Je me trouve beaucoup soulagé depuis, et je compte revenir à la charge le printemps prochain. Je n'entrerais point dans ce détail de ma santé, si je ne savais que j'écris à un ami qui s'y intéresse; ces bagatelles, qui sont indifférentes à tout autre, ne le sont point à des amis. Je compte donc que ma saignée vous sera moins indifférente que l'anecdole de l'habit vert que portait, disait-on autrefois, Des Cartes, ou des vétilles dont Montaigne est très-soigneux d'informer le lecteur.
Je lis à présent une histoire manuscrite de Louis XIV,a qui est d'une grande beauté; elle m'occupe plus que toute la politique de nos jours. Je vous plains de ce que vous vous trouvez si peu d'antagonistes aux tabagies; c'est une nécessité d'être contredit dans ces sociétés, afin de prolonger le discours. Il faut du litigieux dans les sciences; c'est l'huile qui fait vivre ces sortes de conversations. Ce qui peut en quelque façon soulager un orateur d'un pareil parlement, c'est que la matière du discours n'est point limitée, et que l'auditoire ne s'offense point des redites. Avec cela, le théâtre de la guerre du Brabant peut être regardé comme un Potose; c'est une mine d'or, elle rend toujours.
Adieu, mon cher Camas; ne pensez point à moi dans les tabagies, et ne vous souvenez de votre ami que quand vous verrez briller de certains pâtés qui se distinguent par leur volume, vous assurant que je serai toujours inviolablement votre très-fidèle ami,
Federic.
a Le Siècle de Louis XIV, par Voltaire.