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68. DE M. JORDAN.

Breslau, 17 juin 1741.



Sire,

J'ai reçu vos aimables vers,
Écrits de façon très-normande.
Que Dieu m'accable de revers,
Si je sais ce qu'on y commande!

Je puis assurer à V. M. que j'ignore si elle m'ordonne d'aller à Berlin ou de rester à Breslau.

A quoi donc nous sert la critique?
Nous rend-elle moins incertains,
Puisque l'esprit académique
Toujours nous offre deux chemins?

Ce n'est pas le premier chagrin que m'a causé le pyrrhonisme. Une dose de la philosophie dogmatique m'aurait d'abord déterminé; mon penchant pour la secte de l'Académie, la crainte de manquer à mon devoir, tout cela me rend indéterminé. La jérémiade envoyée il y a cinq ou six jours dissipera peut-être ces doutes;

Car, en bonne foi de chrétien,
Je ne puis séjourner en ville
Où le culte calvinien
Est rejeté comme acte de sibylle.

Je n'ai jamais été courtisan; vous n'avez pas besoin de cette engeance qui déguise perpétuellement la vérité, et on ose la dire devant V. M. Pourquoi ne la dirais-je pas? Je m'ennuie à Breslau, puisque je n'y puis faire ma cour à V. M., et que je n'y ai point ma bibliothèque, où

Je goûte la tranquillité,
Reposant dans le sein des Muses;
<131>Mon bel Horace à mon côté
M'engage à mépriser les ruses
Du monde et de sa vanité.

Les Français sont inconstants, cela est vrai. Ils le sont par légèreté; j'ai assez d'esprit pour l'être par volupté. Je ne le suis jamais en amitié.

Je ne suis jamais inconstant
A l'égard d'une aimable belle;
Dès qu'un mérite est éminent,
On cesse alors d'être infidèle.
Ce n'est pas tout. Oserais-je demander à V. M. une grâce?
Très-humblement je vous supplie,
Conquérant de la Silésie,
De me donner un billet à Vorspann,
Pour que je puisse, en ménageant
Conserver ma bourse garnie,
Et la garantir d'étisie.

J'ai l'honneur d'être, etc.

P. S. On ne parle ici que de paix,
On croit y voir finir la guerre,
Et tout prospérer à souhaits
Sous Frédéric, que le monde vénère.