179. A M. JORDAN.

Ce 6 mai 1744.

Une tempête.
Dedans ta tète,
De guet-apens
D'un coup te prend,
Pauvre Jordan.
Adieu ma fête
Et mon bon temps,
Car sans toi, mon enfant,
Je ne suis qu'une bête,
Cela s'entend.
<283>Mais ta cervelle
Pourquoi croit-elle
Que d'un abcès
La loi cruelle
Tranche à jamais
Tous les attraits
D'une tête si belle
Et faite à si grands frais?
Parque infidèle,
Si tu le fais,
Je ne t'appelle
Jamais pucelle,
Mais en mutin,
Devant le Tin,
Je te querelle,
Et rime en tin.

Ma muse, se prosternant à tes pieds, t'adresse ces légèretés; incapable de prétendre aux honneurs des grands ouvrages, elle se borne aux petits, satisfaite que le nom de Jordan illustre ses écrits, et qu'il les protége.

A l'abri d'un nom si fameux,
Courez, mes vers, à nos neveux;
Méprisez la vaine critique
Que d'autres l'envieuse clique
Répand sur les auteurs heureux
Qui célèbrent des noms fameux.
Dites à la future race
Que Jordan préside au Parnasse,
Et qu'il met le comble à nos vœux;
Et soutenez avec audace
Que les auteurs sont bien heureux
Qui célèbrent des noms fameux.
Jamais de vers pour les Saumaise,
Ces auteurs de docte fadaise,
<284>Ni pour tant d'autres savants gueux;
Mais les Muses se pâment d'aise
En voyant les auteurs heureux
Qui célèbrent des noms fameux.
Jordan, l'Apollon que j'invoque,
Jordan, l'ami que je provoque
A venir dans ces charmants lieux.
Toi, qui rends ma lyre moins rauque.
Ainsi mes vers ne sont heureux
Qu'en célébrant des noms fameux.

Achète-moi les collections de cartes dont je puis avoir besoin, et fais-moi relier cela par provinces; mais point d'Afrique, d'Asie, ni d'Amérique, ni d'Espagne, ni de Portugal. Adieu.