8. AU MÊME.

Remusberg, 9 octobre 1787.



Monsieur,

De mes plus jeunes ans fidèle conducteur,
Cher Duhan, qui sais joindre au savoir d'un docteur
L'aisance, la gaîté, les grâces et la joie,
Qui de la calomnie enfin devins la proie
Lorsque ses noirs serpents, répandant leurs venins,
Semblaient se déchaîner contre tous les humains,
Dans les bras de l'erreur ma timide innocence
Dormait d'un profond somme au sein de l'ignorance,
Quand Minerve, avec toi, le flambeau dans la main,
De l'immortalité m'enseigna le chemin.
De loin tu me montras le temple de la Gloire;
De tous les vrais héros l'on y trouve l'histoire.
<308>L'auguste Vérité, chaste fille des cieux,
Et sa sœur l'Équité, président dans ces lieux.
Là, tant de conquérants, les fléaux de la terre,
Sont tristement chassés par un juge sévère;
Et quiconque prétend y vouloir demeurer
Doit être vertueux pour y pouvoir entrer.
Là, tous les hommes faits d'une semblable pâte
Y sont tous confondus : Aristide et Socrate,
Tite, Auguste, Trajan, Antonin, Julien,
Virgile, Homère, Horace, Ovide et Lucien.
Ils y jouissent tous d'une semblable gloire,
Et l'immortalité conserve leur mémoire;
Au regard des humains ils paraissent des dieux,
Ils sont nourris d'encens ne fumant que pour eux.
Des belles actions c'est là la récompense.
« Que leurs faits sur ta vie aient de l'influence,
Me disait la déesse, et que cet aiguillon
Te rende infatigable au culte d'Apollon.
Mentor te conduira par des routes divines,
Il te fera cueillir des roses sans épines;
Il choisira toujours de faciles sentiers,
Phébus lui prêtera ses rapides coursiers.
Tes études seront ton charme en ta jeunesse,
Tes consolations en ta froide vieillesse;
Chez toi, dans le silence, ou bien chez ton voisin,
Dans la paix, à la guerre, en repos, en chemin,
Elles feront partout le bonheur de ta vie,
Et laisseront leurs traits dans ton âme ravie. »308-5
Ah! si, toujours docile à tes doctes leçons,
J'avais pu me tirer de mes distractions!
Mais ce monstre, rival d'une sage entreprise,
Pour la faire échouer sans cesse se déguise.
D'une voix de sirène et d'un ton imposteur,
Il nous remplit l'esprit d'un mensonge flatteur;

<309>

Et quand, sans le savoir, son appât nous entraîne,
Fous nos soins sont perdus, et notre étude est vaine.
Ainsi, mon cher Duhan, dans l'âge des plaisirs
J'étais le vil jouet d'impétueux désirs.
Dans l'été de mes jours, devenu plus solide,
Minerve de mes pas devrait être le guide;
Mais, hélas! la sagesse est rarement le fruit
D'un concours accablant de tumulte et de bruit.
C'est pourquoi, retiré dans l'ombre du silence,
Je cherche, quoique tard, la vertu et la science.
O toi qui les connais, conduis-les sur ces bords;
Pour les y conserver nous ferons nos efforts.
Leur air majestueux et leur simple parure
Semble de réunir et l'art, et la nature.
Puisse-je, dans ce temple, au regard des mortels,
Leur établir un culte, élever leurs autels,
Tandis qu'à ta vertu rendant un juste hommage.
Je dois m'envisager comme étant ton ouvrage!
Tels qu'on voit dans les champs les arbrisseaux épars,
Les branchages confus dépendre des hasards,
Quand une heureuse main prend soin de leur culture,
Devenir des jardins la plus riche parure :
Ainsi, sur les esprits quand l'éducation
D'un soin laborieux cultive la raison,
Elle abolit en nous les idées confuses,
Et nous forme le goût au commerce des Muses.
Je te dois plus, enfin, qu'à l'auteur de mes jours :
Il me donna la vie en ses jeunes amours;
Mais celui qui m'instruit, dont la raison m'éclaire.
C'est mon nourricier, et c'est là mon seul père.

Le loisir que j'ai eu pendant le séjour que je fais ici m'a donné lieu de vous tenir parole. Voici, mon cher, des vers, puisque vous en voulez. Le malheur est que je ne suis pas poëte, et qu'il fallait sentir tout ce que je sens pour vous, pour le pouvoir exprimer en quelque manière. Ne me faites pas l'injure de prendre les vérités qui sont contenues dans cette pièce pour des fictions poétiques, et ne<310> doutez jamais de la part que je prends à tout ce qui vous regarde, étant avec une sincère amitié,



Mon cher Duhan,

Votre très-affectionné ami,
Federic.


308-5 C'est Cicéron qui dit la même chose. Federic [L'Auteur cite souvent ce passage du discours pour Archias : p. e. t. VIII, p. 156 et 304; t. IX, p. 205 : t. X, p. 69; t. XIII, p. 142; t. XIV, p. 99; et t. XVI, p. 226.]