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27. DU COMTE ALGAROTTI.

Dresde, 3 avril 1742.



Sire,

Voici l'air que Votre Majesté demande, et qui était assurément le plus beau de l'opéra. Il est grand et noble, et tel qu'il convient à la dignité d'un dictateur qui prêche la sévérité; et il tâche, par ses sons mâles et vigoureux, d'atteindre le vol majestueux de l'aigle romaine. Mais cela s'appelle porter des vases à Samos que parler musique à V. M., c'est-à-dire à un prince qui sait faire là-dessus le procès à l'Italie, et qui peut donner du vigoureux et du mâle aux sons de la flûte molle et efféminée. V. M. me pardonnera donc cet écart. Mais il me semble d'être avec elle quand j'ai l'honneur de lui écrire, et je me rappelle toujours ces conversations charmantes que nous avons eues ensemble depuis la Vistule jusqu'au Rhin, pleines de feu, d'imagination et d'une variété infinie, conversations que toutes les lettres de V. M. réveillent toujours dans mon esprit. Eh bien, Sire, voilà donc V. M., à la veille d'une bataille, aussi gaie et gaillarde que si le bal ou l'opéra l'attendaient. On a beaucoup admiré des héros qui dormaient profondément la nuit avant une bataille; que sera-ce de V. M., qui, se préparant au combat, fait des vers, de la musique, des entrechats peut-être? Pour moi chétif, j'ai vécu pendant quelque temps dans la douce espérance de la revoir ici. On avait préparé un opéra pour V. M., et on lui aurait donné Titus, tandis qu'elle leur aurait fait voir César. Pour Dieu, Sire, V. M. veut-elle donc faire la guerre toute sa vie, camper toujours, être au milieu de la désolation, pester contre les hussards, et faire pester ceux à qui ces malheureux enlèvent ses ordres et ses lettres? Il y a des moments, épargnez-moi, Sire, l'excommunication militaire, où je trouve presque qu'on a eu raison de dire :