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129. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 18 mai 1760.



Sire,

Votre Majesté viendrait plutôt à bout de me faire croire la présence réelle, la transsubstantiation et tous les mystères apostoliques et catholiques que de me persuader que nous avons autant à craindre qu'elle me le dit. Bien loin d'appréhender pour mon prépuce, je fais dorer en or fin tous les cadres de mes tableaux, j'achète des miroirs, des tables de marbre. Ce n'est pas certainement dans l'idée de porter ces meubles à Délos ou à Naxe, mais pour en orner mon logement de Potsdam. Je vous jure, et cela, dans la plus exacte vérité, que ma seule crainte, c'est le risque que vous courez personnellement par les dangers où vous vous exposez; cela me fait penser quelquefois à la Grèce. D'ailleurs, je suis très-tranquille sur les événements de la guerre, et je suis certain qu'elle finira heureusement pour vous et pour vos sujets, si vous avez le soin de conserver votre personne, sur laquelle est fondée la stabilité de l'État. Vous m'assurez, Sire, que les Français ne veulent point la paix, et moi, je consens de perdre tout ce que j'ai dans le monde, si, au premier échec qu'ils recevront, ils ne quittent pas leurs alliés. Ce n'est point un mal pour nous qu'ils entament cette campagne, parce qu'ils feront de nouvelles pertes considérables, et toutes les conquêtes des Anglais sont autant de gages qui nous répondent des pertes que nous pourrions faire.

Vous me dites que vous allez avoir dans trois semaines deux cent vingt mille hommes sur les bras, et que vous n'en avez que la moitié autant à leur opposer. Permettez-moi de répondre, Sire, que vous parlez dans cette occasion comme les gens qui affectent de passer pour beaucoup moins riches qu'ils ne le sont; tout le monde dit que vous avez cent cinquante mille hommes en campagne, et je le croi-