<213>cesse électorale, et j'applique ce beau dicton à notre armée. Les Autrichiens, forts de quatre-vingt mille hommes, ont voulu entourer trente-cinq mille Prussiens. Nous avons battu Loudon,a et les autres ne nous ont point attaqués. Voilà un grand avantage, auquel nous ne pouvions pas nous attendre. Mais tout n'est pas dit, et il faut encore gravir pour atteindre au haut du rocher escarpé où il faut arriver pour couronner l'œuvre. J'ai eu mon habit et mes chevaux blessés. Pour moi, je suis invulnérable jusqu'à présent.b Jamais nous n'avons éprouvé de plus grands dangers, jamais nous n'avons eu de plus énormes fatigues. Mais quelle sera la fin de nos travaux? J'en reviens toujours à ce beau vers de Lucrèce :

Heureux qui, retiré dans le temple des sages, etc.c

Ayez pitié, mon cher marquis, d'un pauvre philosophe qui est étrangement dérangé de sa sphère, et aimez-moi toujours. Adieu.

145. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 17 août 1760, à une heure après minuit.



Sire,

La joie que me cause la nouvelle de la victoire que Votre Majesté vient de remporter est si grande, que je lui écris au milieu de la nuit,


a A Liegnitz, le 15 août.

b Frédéric reçut trois coups de feu dans le cours de ses campagnes : à Kunersdorf, à Liegnitz et à Torgau. Après la bataille de Kunersdorf, il écrivit au prince Henri son frère, le 16 août 1759 : « Un étui que j'ai eu dans la poche m'a garanti la jambe d'un coup de cartouche qui a écrasé l'étui. » Quant à la bataille de Torgau, voyez la lettre du Roi au marquis d'Argens. du 5 novembre 1760.

c Voyez t. XI, p. 53, et t. XVIII, p. 128.