<330> certaines que vers le commencement du mois prochain. Cela nous serait bien dû, car, depuis six ans, dans quelle amertume et dans quelle douleur n'avons-nous pas passé la vie! Il faut de l'onguent pour la brûlure; croyez-moi, cela est nécessaire et bon. Je suis bien aise de vous avoir guéri; ce sera ce que j'aurai fait de mieux dans ma vie en politique. Je souhaite que cette lettre-ci vous serve de nouveau confortatif, et qu'elle achève de vous tranquilliser.

Je vous envoie, pour vous divertir, une fablea que je me suis avisé de faire; elle sera bientôt suivie d'une autre. Je n'ai pas l'esprit assez tranquille pour faire des ouvrages sérieux; je m'amuse aux fables. Ah! mon cher marquis, quand serai-je hors de cette maudite galère? Je vous avoue que pilote politique et général héros de roman sont les plus fichus métiers qu'on puisse faire en ce bas monde. Épicure avait raison, son sage ne devait jamais se mêler des affaires publiques. Peut-être ferions-nous mieux, si nous choisissions notre place dans le monde; mais le destin fait tout, il nous jette dans un emploi, et puis il faut s'y tenir.b Écrivez-moi si l'on est bien aise à Berlin, et soyez persuadé que je vous aime toujours. Adieu.

222. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 1er mars 1762.



Sire,

Vous me demandez si l'on est bien aise à Berlin. On y est dans la plus grande joie. Les gens riches donnent des fêtes, ceux dont la fortune est médiocre régalent leurs familles; partout on vous donne


a Les deux Chiens et l'Homme, fable. Voyez t. XII, p. 235 et 236.

b Voyez ci-dessus, p. 178.