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287. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 5 mars 1763.



Sire,

Enfin, je viens de le voir, ce héraut d'armes tant désiré, passer sous mes fenêtres, publiant la paix,a suivi de quatre ou cinq mille personnes dont les acclamations et les cris de joie m'ont paru plus touchants que la musique la plus harmonieuse. Vous êtes tendrement chéri de votre peuple, et vous le méritez; ce doit être un double plaisir pour V. M.

Tandis que vous lisez Cicéron à Dahlen, j'emballe ici ses ouvrages. Mes effets ont déjà commencé de partir pour Potsdam. J'éprouve dans cette occasion l'embarras des richesses; je n'ai jamais cru avoir tant de biens; mes meubles ne pourront point aller dans trois bateaux. En voyant tant de ballots et de caisses, je serais tenté de me figurer que j'ai été dans le commissariat de vos armées. J'ai encore une autre occupation, outre celle de mon déménagement : c'est celle de préparer mon équipage pour aller à votre réception avec les bourgeois de Berlin. Je fais broder actuellement un habit bleu en or, qui est l'uniforme qu'ont pris les banquiers et les marchands. Ces messieurs-là jouent avec l'or et la broderie, et il faut bien que je fasse comme eux, puisqu'ils m'ont bien voulu recevoir dans leur compagnie. J'aurai le cheval du bon père Suarès,b doux, tranquille et digne de porter un vieux philosophe, et je n'ai aucun danger à courir.

Je ne m'étonne pas de ce qu'a fait d'Alembert, car j'ai eu l'hon-


a Le 5 mars 1763, M. Schirrmeister, conseiller aulique, proclama la paix à Berlin; il était en costume de héraut d'armes.

b François Suarès, jésuite espagnol, mort en 1617, répondit au duc de Médina Sidonia. qui lui demandait quel cheval il voulait : « Qualem me decet esse, mansuetum (tel qu'il faut que je sois, doux, paisible). » Voyez la Conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye, faisant partie des Œuvres mêlées de M. de Saint-Évremond, t. II, p. 43.