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49. AU MARQUIS D'ARGENS.

(Breslau) 1er mars 1759.

Il faut que vous ayez été bien mal, mon cher marquis, puisque vous me citez si bien les psaumes. Je pourrais y répondre par une jérémiade, mais je vous ennuierais; ainsi je la supprime. Je ne vous crois point à Berlin. J'adresse ma lettre à Hambourg, qui vous y trouvera sûrement. La campagne s'ouvrira de bonne heure cette année. Je ne sais quel sera mon sort, ni comment les choses tourneront. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour me soutenir, et, si je succombe, l'ennemi le payera cher. La mort du roi d'Espagne pourra me délivrer de trente à quarante mille hommes; mais ce n'en est pas encore assez pour me mettre à mon aise. Songez que j'aurai trois cent mille hommes sur les bras, et que je n'en ai que cent cinquante mille pour leur résister. Cette guerre est affreuse; elle devient de jour en jour plus barbare et plus inhumaine. Ce siècle poli est encore très-féroce, ou, pour mieux dire, l'homme est un animal indomptable dès qu'il se livre à la fureur de ses passions effrénées. J'ai passé mon quartier d'hiver en chartreux. Je dîne seul, je passe ma vie à lire, à écrire, et je ne soupe pas. Quand on est triste, il en coûte trop, à la longue, de dissimuler sans cesse son chagrin, et il vaut mieux s'affliger seul que de porter son ennui dans la société. Rien ne me soulage que la forte application que demande un travail et une application suivie. Cette distraction contraint d'écarter les idées fâcheuses, tant qu'elle dure; mais, hélas! lorsque l'ouvrage est fini, ces funestes idées reparaissent aussi vives qu'elles l'étaient par leurs premières impressions. Maupertuis avait raison : je suis très-persuadé que la somme des maux surpasse celle des biens; mais cela m'est égal, je n'ai presque plus rien à perdre, et le peu de jours qui me restent ne m'inquiètent plus assez pour que je m'y intéresse avec