93. AU MÊME.

Freyberg, 16 décembre 1759.

Je me suis aperçu, mon cher marquis, que vous avez eu la fièvre, à l'édition que vous m'avez envoyée. Elle s'est trouvée si incorrecte, que je vous la renvoie corrigée; faites-la réimprimer, et jetez ces vingt exemplaires au feu. Ces gens sont si gauches, qu'ils ont entièrement changé le sens de mes pensées par les plus lourdes bévues. Le petit Beausobre123-b pourrait bien y donner plus d'attention. Les Huns et les Visigoths, s'ils avaient eu des imprimeurs, n'auraient pas plus mal fait.

Vous me parlez beaucoup des Français et de leurs pertes; cela est manifeste, mais la paix n'en est pas une suite certaine. Mes affaires sont encore dans une assez mauvaise situation. Des secours m'arrivent à présent; mais les neiges sont si abondantes ici, la quantité qu'il en est tombé, si considérable, qu'il n'est presque pas possible de faire agir des troupes vis-à-vis des ennemis. Voilà ma situation. Environné de difficultés de tous les côtés, d'embarras et de périls, quand j'ajoute à tout cela les trahisons de la fortune, dont j'ai eu tant de témoignages dans cette campagne, je n'ose me fier à elle dans mes<124> entreprises, ni dans mes forces non plus; il ne me reste donc que le hasard, et je n'espère que dans l'enchaînement des causes secondes. Quand vous aurez fait achever l'impression de cet ouvrage, ayez la bonté de m'en envoyer trois exemplaires. Le comte Finck124-a me les fera tenir, et les courriers ne refuseront pas ses paquets. Adieu, mon cher marquis. Je ne sais ni quand mes aventures finiront, ni quand je vous reverrai; mais je sais à n'en pas douter que je vous aimerai toujours.


123-b Frédéric appelait ainsi M. Louis de Beausobre, fils aîné de son ami, le pasteur Isaac de Beausobre. Voyez t. XVI, p. IX et X, no VIII, et t. XVII, p. 58. Voyez aussi les Souvenirs d'un citoyen (par Formey), t. I, p. 35 et 36.

124-a Le comte Finck de Finckenstein, ministre de Cabinet.