<49> depuis la guerre de trente ans. Alors la France jouissait de l'avantage de tout ce qui est du ressort des belles-lettres et du goût; les Anglais, de la géométrie et de la métaphysique; les Allemands, de la chimie, des expériences de physique et de l'érudition; les Italiens commençaient à tomber; mais la Pologne, la Russie, la Suède et le Danemark étaient encore arriérés d'un siècle en comparaison des nations les plus policées.

Ce qui mérite peut-être le plus nos réflexions, c'est le changement qui se voit depuis l'année 1640 dans la puissance des États. Nous en voyons quelques-uns dans leur accroissement; d'autres demeurent, pour ainsi dire, immobiles dans la même situation, et d'autres enfin tombent en consomption et menacent ruine. La Suède jeta son feu sous Gustave-Adolphe, elle dicta avec la France la paix de Westphalie; sous Charles XII, elle vainquit les Danois, les Russes, et disposa pour un temps du trône de Pologne : il semble que cette puissance ait alors rassemblé toutes ses forces pour paraître comme une comète qui jette un grand éclat, et se perd ensuite dans l'immensité de l'espace; ses ennemis la démembrèrent en lui arrachant l'Esthonie, la Livonie, les principautés de Brême et de Verden, et une grande partie de la Poméranie.

La chute de la Suède fut l'époque de l'élévation de la Russie : cette puissance semble sortir du néant, pour paraître tout à coup avec grandeur, pour se mettre peu de temps après au niveau des puissances les plus redoutées. On pourrait appliquer à Pierre Ier ce qu'Homère dit de Jupiter :a « il fit trois pas, et il fut au bout du monde. » En effet, abattre la Suède, donner successivement des rois à la Pologne, abaisser la Porte Ottomane, et envoyer des troupes pour combattre les Français sur leurs frontières, c'est bien aller au bout du monde.

On vit de même la maison de Brandebourg quitter le banc des électeurs pour s'asseoir parmi les rois; elle ne figurait aucunement


a C'est de Neptune que cela est dit dans l'Iliade, chant XIII, v. 20.