<71> une lettre que le Roi lui avait écrite, où se trouvaient ces mots : « Si le Grand-Duc veut se perdre, qu'il se perde. » Le Grand-Duc en parut ébranlé : le comte Kinsky, chancelier de Bohême, l'homme le plus fier d'une cour où la vanité dominait, prit la parole, traita toutes les propositions du comte de Gotter de flétrissantes à la gloire des successeurs des Césars; il ranima le Grand-Duc, et contribua plus que tous les autres ministres à rompre cette négociation.

L'Europe était dans la surprise de l'invasion inopinée de la Silésie. Les uns taxaient d'étourderie cette levée de boucliers; d'autres regardaient cette entreprise comme une chose insensée. Le ministre d'Angleterre, Robinson, qui résidait à Vienne, soutenait que le roi de Prusse méritait d'être excommunié en politique. En même temps que le comte de Gotter partit pour Vienne, le Roi envoya le général Winterfeldta en Russie; il y trouva le marquis de Botta, qui y soutenait avec toute la vivacité de son caractère les intérêts de la cour de Vienne. Cependant, dans cette occasion, le bon sens poméranien l'emporta sur la sagacité italienne, et M. de Winterfeldt parvint, par le crédit du maréchal Münnich, à conclure avec la Russie une alliance défensive; c'était tout ce qu'on pouvait désirer de plus avantageux dans ces circonstances critiques.

Après que les troupes furent entrées dans leurs quartiers d'hiver, le Roi quitta la Silésie, et vint à Berlin faire les dispositions convenables pour la campagne prochaine. On fit partir pour l'armée un renfort de dix bataillons et de vingt-cinq escadrons; et, comme les intentions des Saxons et des Hanovriens paraissaient équivoques, il fut résolu d'assembler trente bataillons et quarante escadrons auprès


a Le Roi parle ici du voyage diplomatique que fit en Russie le major (et non le général) de Winterfeldt, comme s'il n'en avait pas encore été question, bien que lui-même en ait déjà fait mention à la page 63. C'est par Winterfeldt que se conclut une alliance entre la Prusse et la Russie, à Saint-Pétersbourg, le 27 décembre, nouveau style; le jour suivant, le marquis de Botta quittait Berlin pour se rendre en Russie.