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APPENDICE.

I. LETTRES DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU A FRÉDÉRIC.

1.

(Motiers-Travers) septembre (juillet) 1762.



Sire,

J'ai dit beaucoup de mal de vous; j'en dirai peut-être encore. Cependant, chassé de France, de Genève, du canton de Berne, je viens chercher un asile dans vos États.333-a Ma faute est peut-être de n'avoir pas commencé par là; cet éloge est de ceux dont vous êtes digne. Sire, je n'ai mérité de vous aucune grâce, et je n'en demande pas; mais j'ai cru devoir déclarer à V. M. que j'étais en son pouvoir, et que j'y voulais être; elle peut disposer de moi comme il lui plaira.

2.

(Motiers-Travers, 30) octobre 1762.



Sire,

Vous êtes mon protecteur et mon bienfaiteur, et je porte un cœur fait pour la reconnaissance; je viens m'acquitter avec vous, si je puis.

Vous voulez me donner du pain;333-b n'y a-t-il aucun de vos sujets qui en manque? Otez de devant mes yeux cette épée qui m'éblouit et me blesse; elle n'a que trop fait son devoir, et le sceptre est abandonné. La carrière est grande pour les rois<334> de votre étoffe, et vous êtes encore loin du terme; cependant le temps presse, et il ne vous reste pas un moment à perdre pour aller au bout.334-a

Puissé-je voir Frédéric le juste et le redouté couvrir ses États d'un peuple nombreux dont il soit le père, et J.-J. Rousseau, l'ennemi des rois, ira mourir au pied de son trône.

3.

Wootton, 30 mars 1766.



Sire,

Je dois au malheur qui me poursuit deux biens qui m'en consolent : la bienveillance de mylord Maréchal, et la protection de V. M. Forcé de vivre loin de l'État où je suis inscrit parmi vos peuples, je garde l'amour des devoirs que j'y ai contractés. Permettez, Sire, que vos bontés me suivent avec ma reconnaissance, et que j'aie toujours l'honneur d'être votre protégé, comme je serai toujours votre plus fidèle sujet.

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II. LETTRE DE FRÉDÉRIC AU FELD-MARÉCHAL JACQUES KEITH.

Potsdam, 2 juin 1749.

J'ai été véritablement charmé de voir, par la lettre que vous venez de me faire du 31 du mois dernier, que l'état de votre santé commence à se remettre; et, bien que les expédients que vous y détaillez ne pourront que faire avancer votre rétablissement, je crois pourtant que vous ferez fort bien et même qu'il est indispensablement nécessaire de vous conformer aux avis des médecins et de suivre leurs ordonnances, car, dans l'état où vous vous trouvez, il faut tout éprouver pour recouvrer une santé ferme et durable. Si mes souhaits s'accomplissent, ne doutez pas que je n'aie bientôt le plaisir et la satisfaction de vous voir, entièrement rétabli, auprès de moi, pour vous témoigner moi-même la joie que j'en aurai et vous convaincre par là de mon entière estime. Et sur ce, je prie Dieu, etc.

335-aManstein335-b m'assure qu'il n'y a rien à craindre pour votre santé. C'est la plus agréable nouvelle qu'il pouvait m'apprendre. Cependant, mon cher maréchal, je vous conseille par amitié d'observer un régime rigoureux, car la poitrine est de toutes les parties du corps la plus délicate et qu'il faut le plus ménager. Après que vous vous êtes donné à moi, ce qui vous reste à faire, c'est de me conserver ce présent, dont je fais un très-grand cas.335-c


333-a Voyez ci-dessus, p. 321.

333-b Voyez ci-dessus, p. 322.

334-a Dans le brouillon de cette lettre, il y avait à la place cette phrase : « Sondez bien votre cœur, ô Frédéric! Vous convient-il de mourir sans avoir été le plus grand des hommes? »; et à la fin de la lettre cette autre phrase : « Voilà, Sire, ce que j'avais à vous dire; il est donné à peu de rois de l'entendre, et il n'est donné à aucun de l'entendre deux fois. » (Note de l'édition des Œuvres de J.-J. Rousseau publiée en 1797.)

335-a De la main du Roi.

335-b Colonel et adjudant général. Voyez t. IV, p. 97, 135, 147 et 151.

335-c Voyez Varnhagen d'Ense, Leben des Feldmarschalls Jakob Keith, Berlin, 1844, p. 102.