<128> en jugeant les grands hommes. Tel qui a vu Pompée avec des yeux d'admiration dans l'Histoire romaine, le trouve bien différent quand il apprend à le connaître par les Lettres de Cicéron. C'est proprement de la faveur des historiens que dépend la réputation des princes. Quelques apparences de grandes actions ont déterminé les écrivains de ce siècle en faveur du Czar, et leur imagination a eu la générosité d'ajouter à son portrait ce qu'ils ont cru qui pouvait y manquer.

Il se peut qu'Alexandre n'ait été qu'un brigand fameux. Quinte-Curce a cependant trouvé le moyen, soit pour abuser de la crédulité des peuples, soit pour étaler l'élégance de son style, de le faire passer, dans l'esprit de tous les siècles, pour un des plus grands hommes que jamais la terre ait portés. Combien d'exemples ne fournissent pas les historiens d'une prédilection marquée pour la gloire de certains princes! Mais s'ils ont donné des exemples de leur bienveillance, l'histoire nous en fournit aussi de leur haine et de leur noirceur. Rappelez-vous les différents caractères attribués à Julien, surnommé l'Apostat. La haine, la fureur, la rage de vos saints évêques, l'ont défiguré de façon qu'à peine ses traits sont reconnaissables dans les portraits que leur malignité en a faits. Des siècles entiers ont eu ce prince en horreur, tant le témoignage de ces imposteurs a fait impression sur les esprits! Enfin, un sage est venu qui, s'apercevant de l'artifice des moines historiens, rend ses vertus à l'empereur Julien, et confond la calomnie des Pères de votre Église.a

Toutes les actions des hommes sont sujettes à des interprétations différentes. On peut répandre du venin sur les bonnes, et donner aux mauvaises un tour qui les rende excusables et même louables; et c'est la partialité ou l'impartialité de l'historien qui décide le jugement du public et de la postérité.

Je vous remets entre les mains tout ce que j'ai pu amasser de plus curieux sur l'histoire que vous m'avez demandée. Ces mémoires


a Voyez t. X, p. 10 et 159.