<146>sée de suivre une opinion particulière m'aveugle. Peut-être que j'avilis trop les hommes; cela se peut, je n'en disconviens pas. Mais si le roi de France était en compromis avec le roi d'Yvetot, je suis sûr que tout homme sensé reconnaîtrait la puissance du roi Louis XV supérieure à l'autre. A plus forte raison devons-nous nous déclarer pour la puissance de Dieu, qui ne peut, en aucune façon, entrer en ligne de comparaison avec ces êtres fugitifs que le temps produit, dont le sort se joue, et que le temps détruit après une durée courte et passagère.

Lorsque vous parlez de la vertu, on voit que vous êtes en pays de connaissance; vous parlez en maître de cette matière, dont vous connaissez la théorie et la pratique; en un mot, il vous est facile de discourir savamment de vous-même. Il est certain que les vertus n'ont lieu que relativement à la société. Le principe primitif de la vertu est l'intérêt (que cela ne vous effraye point), puisqu'il est évident que les hommes se détruiraient les uns les autres, sans l'intervention des vertus. La nature produit naturellement des voleurs, des envieux, des faussaires, des meurtriers; ils couvrent toute la face de la terre; et, sans les lois qui répriment le vice, chaque individu s'abandonnerait à l'instinct de la nature, et ne penserait qu'à soi. Pour réunir tous ces intérêts particuliers, il fallait trouver un tempérament pour les contenter tous; et l'on convint que l'on ne se déroberait point réciproquement son bien, qu'on n'attenterait point à la vie de ses semblables, et qu'on se prêterait mutuellement à tout ce qui pourrait contribuer au bien commun.

Il y a des mortels heureux, de ces âmes bien nées qui aiment la vertu pour l'amour d'elle-même; leur cœur est sensible au plaisir qu'il y a de bien faire. Il vous importe peu de savoir que l'intérêt ou le bien de la société demandent que vous soyez vertueux. Le Créateur vous a heureusement formé de façon que votre cœur n'est point accessible aux vices; et ce Créateur se sert de vous comme