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46. AU MÊME.

Remusberg, 27 février 1738.

Monsieur, vos ouvrages n'ont aucun prix;a c'est une vérité dont je suis convaincu il y a longtemps. Cela n'empêche pas cependant que je ne doive vous témoigner ma reconnaissance et ma gratitude. Les bagatelles que je vous envoie ne sont que des marques de souvenir, des signes auxquels vous devez vous rappeler le plaisir que m'ont fait vos ouvrages.

Il semble, monsieur, que les sciences et les arts vous servent par semestre. Ce quartier paraît être celui de la poésie. Comment! vous mettez la main à une nouvelle tragédie! D'où prenez-vous votre temps? ou bien est-ce que les vers coulent chez vous comme de la prose? Autant de questions, autant de problèmes.

Mérope ne sort point de mes mains. Il en revient trop à mon amour-propre d'être l'unique dépositaire d'une pièce à laquelle vous avez travaillé. Je la préfère à toutes les pièces qui ont paru en France, hormis à la Mort de César.

Les intrigues amoureuses me paraissent le propre des comédies : elles en sont comme l'essence, elles font le nœud de la pièce; et comme il faut finir de quelque manière, il semble que le mariage y soit tout propre. Quant à la tragédie, je dirais qu'il y a des sujets qui demandent naturellement de l'amour, comme Titus et Bérénice, le Cid, Phèdre et Hippolyte. Le seul inconvénient qu'il y ait, c'est que l'amour se ressemble trop, et que, quand on a vu vingt pièces, l'esprit se dégoûte d'une répétition continuelle de sentiments doucereux, et qui sont trop éloignés des mœurs de notre siècle. Depuis qu'on a attaché, avec raison, un certain ridicule à l'amour romanesque, on ne


a Monsieur, vos ouvrages sont sans prix. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 242, où cette lettre est datée du 26 février 1737.) Voyez ci-dessus, p. 20 et 99.