<22>J'ai été longtemps en suspens si je devais vous envoyer mes vers ou non, à vous, l'Apollon du Parnasse français, à vous, devant qui les Corneille et les Racine ne sauraient se soutenir. Deux motifs m'y ont pourtant déterminé : celui qui eût sûrement dissuadé tout autre, c'est, monsieur, que vous êtes vous-même poëte, et que par conséquent vous devez connaître ce désir insurmontable, cette fureur que l'on a de produire ses premiers ouvrages; l'autre, et qui m'a le plus fortifié dans mon dessein, est le plaisir que j'ai de vous faire connaître mes sentiments à la faveur des vers, ce qui n'aurait pas eu la même grâce en prose.

Le plus grand mérite de ma pièce est, sans contredit, de ce qu'elle est ornée de votre nom; mon amour-propre ne m'aveugle pas jusqu'au point de croire cette Épître exempte de défauts. Je ne la trouve pas digne même de vous être adressée. J'ai lu, monsieur, vos ouvrages et ceux des plus célèbres auteurs, et je vous assure que je connais la différence infinie qu'il y a entre leurs vers et les miens.

Je vous abandonne ma pièce; critiquez, condamnez, désapprouvez-la, à condition de faire grâce aux deux vers qui la finissent. Je m'intéresse vivement pour eux : la pensée en est si véritable, si évidente, si manifeste, que je me vois en état d'en défendre la cause contre les critiques les plus rigides, malgré la haine et l'envie, et en dépit de la calomnie. Je suis, etc.