<239> à Cirey, et que V. A. R. m'honore de ses bontés, je crois le plaisir démontré.

Je m'étonne que, parmi tant de démonstrations alambiquées de l'existence de Dieu, on ne se soit pas avisé d'apporter le plaisir en preuve. Car, physiquement parlant, le plaisir est divin, et je tiens que tout homme qui boit de bon vin de Tokai, qui embrasse une jolie femme, qui, en un mot, a des sensations agréables, doit reconnaître un Être suprême et bienfaisant. Voilà pourquoi les anciens ont fait des dieux de toutes les passions; mais comme toutes les passions nous sont données pour notre bien-être, je tiens qu'elles prouvent l'unité d'un Dieu, car elles prouvent l'unité de dessein. V. A. R. permet-elle que je consacre cette Épître à celui que Dieu a fait pour rendre heureux les hommes, à celui dont les bontés font mon bonheur et ma gloire?a Madame du Châtelet partage mes sentiments. Je suis avec un profond respect et un dévouement sans bornes, monseigneur, etc.

58. A VOLTAIRE.

Wésel, 24 juillet 1738.b

Mon cher ami, me voilà rapproché de plus de soixante lieues de Cirey. Il me semble que je n'ai plus qu'un pas à faire pour y arriver, et je ne sais quel pouvoir invincible m'empêche de satisfaire mon empressement pour vous voir. Vous ne sauriez concevoir ce que me fait souffrir votre voisinage; ce sont des impatiences, ce sont des inquiétudes, ce sont enfin toutes les tyrannies de l'absence.


a Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XII, p. 86 et 87, note 8.

b Le 21 juillet 1738. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 8.)