<24> la vôtre. Elle souhaiterait fort que, un peu plus dégagée de sa matière, elle pût aller s'instruire à Cirey,

A cet endroit fameux où mon âme révère
Le savoir d'Émilie et l'esprit de V oltaire;
Oui, c'est là que le ciel, prodiguant ses faveurs,
Vous a doué d'un bien préférable aux grandeurs.
Il m'a donné du rang le frivole avantage.
A vous tous les talents : gardez votre partage.

Ce n'est pas à vous, monsieur, que je dirai tout ce que je pense des pièces que vous venez de m'envoyer. L'ode, remplie de beautés, ne contient que des vérités très-évidentes; L'Épître à Émiliea est un merveilleux abrégé du système de M. Newton; et le Mondain, aimable pièce qui ne respire que la joie, est, si j'ose m'exprimer ainsi, un vrai cours de morale. La jouissance d'une volupté pure est ce qu'il y a de plus réel pour nous dans ce monde; j'entends cette volupté dont parle Montaigne,b et qui ne donne point dans l'excès d'une débauche outrée.

J'attends la Philosophie de Newton avec grande impatience; je vous en aurai une obligation infinie. Je vois bien que je n'aurai jamais d'autre précepteur que M. de Voltaire. Vous m'instruisez en vers, vous m'instruisez en prose; il faudrait un cœur bien revêche pour être indocile à vos leçons.

J'attends encore la Pucelle. J'espère qu'elle ne sera pas plus austère que tant d'autres héroïnes qui se sont pourtant laissé vaincre par les prières et les persévérances de leurs amants.

J'ai reçu deux paquets de votre part; celui-ci, monsieur, est le troisième. J'ai répondu aux deux premiers. Je vous ai ensuite adressé


a Épître à madame la marquise du Châtelet. Sur la Philosophie de Newton. Cette Épître ne fut imprimée qu'en 1738, en tête des Eléments de la Philosophie de Newton. On la trouve dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 123.

b Essais, livre Ier. ch. 19 : Que philosopher c'est apprendre a mourir.