<26> l'Athènes de l'Allemagne, et pourra l'être de l'Europe. Je suis ici dans une villea où deux simples particuliers, M. Boerhaave d'un côté, et M. s'Gravesande de l'autre, attirent quatre ou cinq cents étrangers. Un prince tel que vous en attirera bien davantage, et je vous avoue que je me tiendrais bien malheureux, si je mourais avant d'avoir vu l'exemple des princes et la merveille de l'Allemagne.

Je ne veux point vous flatter, monseigneur; ce serait un crime, ce serait jeter un souffle empoisonné sur une fleur. J'en suis incapable; c'est mon cœur pénétré qui parle à V. A. R.

J'ai lu la Logique de M. Wolff, que vous avez daigné m'envoyer; j'ose dire qu'il est impossible qu'un homme qui a les idées si nettes, si bien ordonnées, fasse jamais rien de mauvais. Je ne m'étonne plus qu'un tel prince aime un tel philosophe. Ils étaient faits l'un pour l'autre. V. A. R., qui lit ses ouvrages, peut-elle me demander les miens? Le possesseur d'une mine de diamants me demande des grains de verre; j'obéirai, puisque c'est vous qui ordonnez.

J'ai trouvé, en arrivant à Amsterdam, qu'on avait commencé une édition de mes faibles ouvrages. J'aurai l'honneur de vous envoyer le premier exemplaire. En attendant, j'aurai la hardiesse d'envoyer à V. A. R. un manuscritb que je n'oserais jamais montrer qu'à un esprit aussi dégagé des préjugés, aussi philosophe, aussi indulgent que vous l'êtes, et à un prince qui mérite, parmi tant d'hommages, celui d'une confiance sans bornes. Il faudra un peu de temps pour le revoir et le transcrire, et je le ferai partir par la voie que vous m'indiquerez. Je dirai alors :

Parve, sed invideo, sine me, liber, ibis ad illum.c


a Leyde, où Voltaire arriva vers la fin de décembre 1736.

b Le Traité de métaphysique. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXVII. p. 277-343.

c Ovide dit, dans les Tristes, liv. Ier, élégie 1re :
     Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in urbem.