<289>Je vous ai rendu, monseigneur, un compte exact de tous les travaux de votre sujet de Cirey; vraiment je ne dois pas omettre la nouvelle persécution que Rousseau et l'abbé Desfontaines me font. Tandis que je passe, dans la retraite, les jours et les nuits dans un travail assidu, on me persécute à Paris, on me calomnie, on m'outrage de la manière la plus cruelle. Madame la marquise du Châtelet a cru que Thieriot, qui envoie souvent ce qu'on fait contre moi à tout le monde, avait envoyé aussi à V. A. R. un libelle affreux de l'abbé Desfontaines; elle avait d'autant plus sujet de le croire, qu'elle en avait écrit à Thieriot, qu'elle lui avait demandé la vérité, et que Thieriot n'avait point répondu. Aussitôt voilà le cœur généreux de madame du Châtelet, cœur digne du vôtre, qui s'enflamme; elle écrit à V. A. R.; elle vous fait entendre des plaintes bienséantes dans sa bouche, mais interdites à la mienne. Voici le fait.

Un homme, le chevalier de Mouhi, qui a déjà écrit contre l'abbé Desfontaines, fait une petite brochure littéraire contre lui;a et, dans cette brochure, il imprime une lettre que j'ai écrite il y a deux ans. Dans cette lettre j'avais cité un fait connu : que l'abbé Desfontaines, sauvé du feu par moi, avait, pour récompense, fait sur-le-champ un libelle contre son bienfaiteur, et que Thieriot en était témoin. Tout cela est la plus exacte vérité, vérité bien honteuse aux lettres. Si Thieriot, dans cette occasion, craint de nouvelles morsures de l'abbé Desfontaines, s'il s'effraye plus de ce chien enragé qu'il n'aime son ami, c'est ce que j'ignore; il y a longtemps que je n'ai reçu de ses nouvelles. Je lui pardonne de ne se point commettre pour moi. Je fais un petit Mémoire apologétiqueb pour répondre à l'abbé Desfon-


a Cette brochure, intitulée Le Préservatif, n'était pas de Mouhi, mais de Voltaire lui-même : elle se trouve dans l'édition Beuchot, t. XXXVII, p. 545-568.

b Mémoire du sieur de Voltaire. L. c., t. XXXVIII, p. 299-326. Il existe une seconde rédaction de cet écrit, sous le titre de Mémoire sur la Satire, l. c., p. 327-352.