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Ce talent précieux et rare
Ne saurait se communiquer;
La nature en paraît avare.
Autant que l'on a pu compter,
Tout un siècle elle se prépare
Lorsqu'elle nous le veut donner.
Mais vous le possédez, Voltaire,
Et ce serait vous ennuyer
Qu'apprécier et calculer
L'héritage de votre père.

Trois sortes d'ouvrages me sont parvenus de votre plume, en six semaines de temps. Je m'imagine qu'il y a quelque part en France une société choisie de génies égaux et supérieurs, qui travaillent tous ensemble, et qui publient leurs ouvrages sous le nom de Voltaire, comme une autre société en publie sous le nom de Trévoux. Si cette supposition est sensée, je me fais trinitaire, et je commencerai à voir jour à ce mystère que les chrétiens ont cru jusqu'à présent sans le comprendre.

Ce qui m'est parvenu de Mahomet me paraît excellent. Je ne saurais juger de la charpente de la pièce, faute de la connaître; mais la versification est, à mon avis, pleine de force, et semée de ces portraits et caractères qui font faire fortune aux ouvrages d'esprit.

Vous n'avez pas besoin, mon cher Voltaire, de l'éloquence de M. de Valori; vous êtes dans le cas qu'on ne saurait détruire ni augmenter votre réputation.

Vainement l'envieux, desséché de fureur,
L'ennemi des humains, qu'afflige leur bonheur,
Cet insecte rampant qui naît avec la gloire,
Dont le toucher impur salit souvent l'histoire,
Sur vos vers immortels répandant ses poisons,
De vos lauriers naissants retarde les moissons.
Votre âme, à tous les arts par son penchant formée,
Par vingt ans de travaux fonda sa renommée;