209. AU MÊME.

Potsdam, 15 septembre 1743.157-a

Vous me dites tant de bien de la France et de son roi, qu'il serait à souhaiter que tous les souverains eussent de pareils sujets, et toutes les républiques de semblables citoyens. C'est ce qui fait véritablement la force des États, lorsqu'un même zèle anime tous les membres, et que l'intérêt public devient l'intérêt de chaque particulier.

Il aurait été à souhaiter que la France et la Suède eussent eu des militaires qui pensassent comme vous; mais il est bien sûr, quoi que vous puissiez dire, que la faiblesse des généraux et la timidité des conseils ont presque perdu de réputation ces deux nations, dont le nom seul inspirait, il n'y a pas un demi-siècle, la terreur à l'Europe.

De quelle façon voyons-nous que la France ait agi envers ses<158> alliés? Quel exemple pour l'Europe que la paix secrète que fit le cardinal de Fleury à l'insu de l'Espagne et du roi de Sardaigne! Il abandonna le roi Stanislas, beau-père de Louis XV, et acquit la Lorraine. Quel exemple inouï que la manière dont la France abandonne l'Empereur, sacrifie la Bavière, et réduit ce prince si respectable dans la dernière misère, je ne dis pas dans la misère d'un prince, mais dans la situation la plus affreuse où puisse se trouver un particulier! Quelles machinations n'ont pas été celles du cardinal, en Russie, lorsque nous étions le mieux liés! Quelles propositions n'a-t-on pas faites à Mayence pour ouvrir les routes à la paix, ou, pour mieux dire, afin d'allumer une nouvelle guerre! Avec quel peu de vigueur parlent les Français lorsqu'ils devraient montrer de la fermeté! Et, lors même qu'il en paraît quelque étincelle dans leurs discours, combien peu les opérations militaires y répondent-elles!

Cependant cette nation est la plus charmante de l'Europe, et, si elle n'est pas crainte, elle mérite qu'on l'aime. Un roi digne de la commander, qui gouverne sagement, et qui s'acquiert l'estime de l'Europe entière, peut lui rendre son ancienne splendeur, que les Broglie et tant d'autres, plus ineptes encore, ont un peu éclipsée.

C'est assurément un ouvrage digne d'un prince doué de tant de mérite que de rétablir ce que les autres ont gâté; et jamais souverain ne peut acquérir plus de gloire que lorsqu'il défend ses peuples contre des ennemis furieux, et que, faisant changer la situation des affaires, il trouve le moyen de réduire ses adversaires à lui demander la paix humblement.

J'admirerai tout ce que fera ce grand homme, et personne de tous les souverains de l'Europe ne sera moins jaloux que moi de ses succès.

Mais je n'y pense pas de vous parler politique; c'est précisément présenter à sa maîtresse une coupe de médecine. Je crois que je ferais beaucoup mieux de vous parler poésie; mais ne peut pas qui veut;<159> et, lorsque vous m'écrivez des vers et que j'y dois répondre, vous me revenez comme un échanson qui, ayant le talent de boire, porte de grands verres en rasade à un fluet qui tout au plus peut supporter de l'eau.

Adieu, cher Voltaire; veuille le ciel vous préserver des insomnies, de la fièvre et des fâcheux!


157-a L'édition Beuchot date cette lettre du 7 septembre 1743, ce qui nous paraît plus juste, car Frédéric fît un voyage à Baireuth, du 10 au 25 septembre.