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381. AU MÊME.a

Strehlen, novembre 1761.

Le solitaire des Délices ne se rira-t-il pas de moi et de tous les envois que je lui fais? Voici une pièce que j'ai faite pour Catt;b elle n'est pas dans le goût de mes élégies, que vous avez la bonté de caresser. Ce bon enfant, me voyant toujours avec mes stoïciens, me soutint, il y a quelques jours, que ces beaux messieurs n'aidaient point dans l'infortune; que Gresset, le Lutrin de Boileau, Chaulieu, vos ouvrages, convenaient mieux à ma triste situation que ces bavards philosophes, dont on pourrait se passer, surtout lorsqu'on avait en soi-même cette force d'âme qu'ils ne donnent et ne peuvent pas donner. Je lui fis mes humbles représentations. Il tint bon; et, quelques jours après notre belle conversation, je lui décochai cette Épître. Comme il me fallait une satisfaction du mal qu'il avait dit de mes stoïciens, je l'ai badiné sur quelques belles dames auxquelles il avait fait tourner violemment la tête. Les poëtes se permettent des exagérations, et ne s'en font aucun scrupule; aussi l'ai-je dépeint courant de conquêtes en conquêtes, ce qui, au fond, n'est pas trop dans son caractère et dans la trempe de son âme. Ne direz-vous pas, mon cher ermite, que je suis un vieux fou de m'occuper, dans les circonstances où je me trouve, de choses aussi frivoles? Mais j'endors ainsi mes soucis et mes peines. Je gagne quelques instants; et, ces instants, hélas! passés si vite, le diable reprend tous ses droits. Je me prépare à partir pour Breslau,c et pour y faire mes arrangements sur les héroïques boucheries de l'année prochaine. Priez pour un Don Qui-


a Cette lettre est tirée de l'édition de Bâle, t. II, p. 344 et 345.

b Voyez t. XII, p. 219-223.

c Le Roi arriva à Breslau le 9 décembre.