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413. A VOLTAIRE.

Potsdam, 17 février 1770.

Le pauvre Lorrain, dont vous vous souvenez, trouve une grande différence des copies qu'il fait à présent de celles qu'il faisait autrefois. A présent, il écrit pour le temps; il y a dix-huit ans, c'était pour l'immortalité. Il n'en est pas moins flatté de l'approbation que vous donnez à son ouvrage, qui roule sur des idées dont on trouve le germe dans l'Esprit d'Helvétius et dans les Essais de d'Alembert. L'un écrit avec une métaphysique trop subtile, et l'autre ne fait qu'indiquer ses idées.

Le pauvre Lorrain sent qu'il vous a importuné par l'envoi des rêveries de son maître; mais, par une suite de l'élévation où se trouve le Patriarche de Ferney, il doit s'attendre à ces sortes d'hommages et d'importunités. Le patriarche demande des vers en velche d'un auteur tudesque; il en aura; mais il se repentira de les avoir demandés. Ces vers sont adressés à une dame qu'il doit connaître;a ils ont été faits à l'occasion d'un propos de table, où cette dame se plaignait de la difficulté de trouver un juste milieu entre le trop et le trop peu. Ce sont de ces vers de société dont Paris fournissait autrefois d'amples recueils, qui commencent à devenir plus rares.

Le pauvre Lorrain est bien embarrassé à découvrir le génie dont vous lui parlez; il l'a cherché partout. Ce n'est pas sans raison; les roses et les lauriers ont tous été transplantés en Russie,b de sorte qu'il le cherche en vain. Le Lorrain suppose que la brillante imagination qui triomphe à Ferney du temps et des infirmités de l'âge a tracé de fantaisie le tableau de ce génie, et qu'il en est comme du jar-


a Épître à madame de Morrien. Voyez t. XIII, p. 10-12.

b Ce n'est pas la saison des roses; et les lauriers ont tous été transplantés en Russie. (Variante des Œuvres posthumes, t. X, p. 55.)