<212>

435. VOLTAIRE.

Potsdam, 16 mars 1771.a

Il y a longtemps que je vous aurais répondu, si je n'en avais été empêché par le retour de mon frère Henri, qui revient de Russie. Plein de ce qu'il y a vu digne d'admiration, il ne cesse de m'en entretenir; il a vu votre souveraine; il a été à portée d'applaudir à ces qualités qui la rendent si digne du trône qu'elle occupe, et à ces qualités sociables qui s'allient si rarement avec la morgue et la grandeur des souverains.

Mon frère a poussé, par curiosité, jusqu'à Moscou; et partout il a vu les traces des grands établissements par lesquels le génie bienfaisant de l'Impératrice se manifeste. Je n'entre point dans des détails qui seraient immenses, et qui demandent pour les décrire une plume plus exercée que la mienne. Voilà pour m'excuser de ma lenteur. J'en viens à présent à vos lettres.

Voyez la différence qui est entre nous : moi, avorton de philosophe, quand mon esprit s'exalte, il ne produit que des rêves; vous, grand prêtre d'Apollon, c'est ce dieu même qui vous remplit, et qui vous inspire ce divin enthousiasme qui nous charme et nous transporte. Je me garde donc bien de lutter contre vous; je crains le sort d'un certain Israël qui, s'étant compromis contre un ange, en eut une hanche démise.b

Je viens à vos Questions encyclopédiques, et j'avoue qu'un auteur qui écrit pour le public ne saurait assez le respecter, même dans ses faiblesses. Je n'approuve point l'auteur de la Préface de Fleury abrégé : il s'exprime avec trop de hardiesse, il avance des propositions qui


a Le 5 mars 1771. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 137.)

b Genèse, chap. XXXII, v. 25.