<220> Dieu, qui m'a refusé le don de prophétie, ne me permet pas de deviner ce que fera l'Empereur. Je connais des gens qui, à sa place, pousseraient par delà Belgrad, et qui s'arrondiraient, attendu qu'en philosophie la figure ronde est la plus parfaite. Mais je crains de dire des sottises trop pointues, et je me borne à me mettre aux pieds de V. M. du fond de mon tombeau de neige, dans lequel je suis aveugle comme Milton, mais non pas aussi fanatique que lui. Je n'ai nul goût pour un énergumène qui parle toujours du Messie et du diable; moi, je parle de mon héros.

439. A VOLTAIRE.

Potsdam, 28 mars 1771.a

J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos lettres. L'apparition que le roi de Suède a faite chez nousb m'a empêché de vous répondre plus tôt.

J'avais donc deviné que ce beau Testament n'était pas de vous. On vous a fait le même honneur qu'au cardinal de Richelieu, au cardinal Albéroni, au maréchal de Belle-Isle, etc., de tester en votre nom. Je disais à quelqu'un qui me parlait de ce Testament que c'était une œuvre de ténèbres, que l'on n'y reconnaissait ni votre style, ni les bienséances que vous savez si supérieurement observer en écrivant pour le public; cependant bien du monde, qui n'a pas le tact assez fin, s'y est trompé; et je crois qu'il ne serait pas mal de le désabuser.

J'ai donc vu ce roi de Suède, qui est un prince très-instruit,


a Le 1er mai 1771. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 144)

b Gustave III arriva à Potsdam le 22 avril.