<395>Je ne suis pas au fait de la cour de Versailles, et je ne sais qu'en gros ce qui s'y passe. Je ne connais ni les Turgot, ni les Malesherbes; s'ils sont de vrais philosophes, ils sont à leur place. Il ne faut ni préjugé ni passion dans les affaires; la seule qui soit permise est celle du bien public. Voilà comme pensait Marc-Aurèle, et comme doit penser tout souverain qui veut remplir son devoir.

Pour votre jeune roi, il est ballotté par une mer bien orageuse; il lui faut de la force et du génie pour se faire un système raisonné, et pour le soutenir. Maurepas est chargé d'années; il aura bientôt un successeur, et il faudra voir alors sur qui le choix du monarque tombera, et si le vieux proverbe se dément : Dis-moi qui tu hantes, et je dirai qui tu es.

Je viens de voir en Silésie un M. de Laval-Montmorency et un Clermont-Gallerande qui m'ont dit que la France commençait à connaître la tolérance, qu'on pensait à rétablir l'édit de Nantes, si longtemps supprimé. Je leur ai répondu tout uniment que c'était moutarde après dîner. Vous me prendrez pour d'Argenson la Bête,a qui s'exprimait en proverbes triviaux en traitant d'affaires; mais une lettre n'est pas une négociation, et il est permis de se dérider quelquefois en société. Vous ne voudriez pas sans doute que j'affectasse l'air empesé de vos robins, ou de nos graves députés de Ratisbonne. Les uns sont les bourreaux des La Barre, les autres font des sottises d'un autre genre avec leurs visitations.

Vous avez raison de dire que nos bons Germains en sont encore à l'aurore des connaissances. L'Allemagne est au point où se trouvaient les beaux-arts du temps de François Ier. On les aime, on les recherche; des étrangers les transplantent chez nous; mais le sol n'est pas encore assez préparé pour les produire de lui-même. La guerre de trente ans a plus nui à l'Allemagne que ne le croient les étrangers. Il a fallu commencer par la culture des terres, ensuite par les manu-


a Voyez t. XIX, p. 281.