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545. AU MÊME.

Potsdam, 20 avril 1776.

L'abbé Pauw marque une foi sincère pour toutes les relations des jésuites de la Chine de la mort de l'empereur Kien-Long, parce qu'ils l'ont annoncée. Pour moi, en qualité de rigide pyrrhonien, je crois qu'il n'est ni mort, ni vivant. La curiosité s'affaiblit avec l'âge; l'on se resserre dans une sphère plus bornée. Walpole disait : J'abandonne l'Europe à mon frère, et ne me réserve que l'Angleterre. Moi, je me contente de ce qui s'est fait, de ce qui se fait, et de ce qui pourra arriver dans notre Europe.

Louis XVI attire bien autrement ma curiosité que l'empereur Kien-Long. J'ai lu un placet, ou plutôt un remercîment du pays de Gex,a adressé à ce monarque; et, dans l'intérieur de mon âme, j'ai béni le bien que ce souverain a fait, ainsi que ceux qui lui ont donné d'aussi bons conseils. Le parlement aurait dû applaudir aux édits de son souverain, au lieu de lui faire des remontrances ridicules. Mais le parlement est composé d'hommes, et la fragilité des vertus humaines se cache moins dans les délibérations des grands corps que dans les résolutions prises entre peu de personnes.

Si notre espèce n'abusait pas de tout généralement, il n'y aurait point de meilleure institution que celle d'une compagnie qui eût droit de faire des représentations aux souverains sur les injustices qu'ils seraient au moment de commettre. Nous voyons en France combien peu cette compagnie pense au bien du royaume. M. Turgot a même trouvé dans les papiers de ses prédécesseurs les sommes qu'il en a coûté à Louis XV pour corrompre les conseillers de son parle-


a Remontrances du pays de Gex au Roi; Œuvres de Voltaire, édition Beuchot, t. XLVIII, p. 296-301.