<507> avec ces défauts, si peu de génie, qu'il y aurait de quoi se dégoûter des lettres, si le siècle précédent ne nous avait pas fourni des chefs-d'œuvre en tout genre. L'heureuse fécondité de ce siècle nous dédommage de la stérilité du nôtre. Je suis venu au monde à la fin de cette époque où l'esprit humain brillait dans toute sa splendeur. Les grands hommes qui ont fait la gloire de ces temps heureux sont passés; il ne reste désormais en France que vous et que Voltaire qui souteniez, comme des colonnes fortes et puissantes, les restes d'un édifice qui va s'écrouler. J'espère donc que nous sortirons du monde en même temps, et que nous voyagerons en compagnie vers ce pays dont aucun géographe n'a donné la carte, dont aucun voyageur n'a donné la description, dont aucun quartier-maître n'a indiqué le chemin, et dont nous serons réduits à nous frayer la voie à nous-mêmes; mais, jusqu'au moment du départ, jouissez d'une santé parfaite, goûtez de tout le bonheur que notre condition comporte, et conservez votre âme dans une tranquillité inébranlable. Ce sont les vœux de tous les philosophes pour leur cher Athénagoras.a Sur ce, etc.


a Le philosophe platonicien Athénagoras naquit à Athènes au deuxième siècle de l'ère vulgaire. Jeune encore, il embrassa la religion chrétienne, et alla s'établir à Alexandrie, où il ouvrit une école dans laquelle il se proposa de concilier les dogmes de sa nouvelle religion avec ceux de l'Académie. Nous avons de lui deux ouvrages : un Traité de la résurrection des morts; et une Apologie de la religion chrétienne, qu'il adressa aux empereurs Marc-Aurèle et Commode. Peut-être Frédéric n'a-t-il écrit Athénagoras que par méprise au lieu d'Anaxagoras, surnom qu'il donne ordinairement à d'Alembert.