<529> dérober à quelqu'un de son superflu; 3° parce que l'intention du vol est vertueuse, et que l'action en est d'une nécessité indispensable; je suis même persuadé qu'il n'est aucun tribunal qui, ayant bien constaté la vérité du fait, n'opinât à absoudre un tel voleur. Les liens de la société sont fondés sur des services réciproques; mais si cette société se trouve composée d'âmes impitoyables, tous les engagements sont rompus, et l'on rentre dans l'état de la pure nature, où le droit du plus fort décide de tout.

Voilà ce qu'un philosophe ébauché peut répondre au grand Anaxagoras, qui s'amuse de ce balbutiage. Vous me proposez ensuite en peu de mots une question à laquelle je ne pourrais répondre, selon le noble usage tudesque, que par un gros in-folio. Comment, mon cher Anaxagoras, ne voyez-vous pas dans quelle discussion je ne pourrais me dispenser d'entrer pour détailler toute cette matière? Je me resserrerai donc le plus que possible pour vous satisfaire. Si nous nous plaçons au premier jour du monde, et que vous me demandiez s'il est utile de tromper le peuple,a je vous répondrai que non, parce que, l'erreur et la superstition étant inconnues, on ne doit pas les introduire, on doit même les empêcher d'éclore. En parcourant l'histoire, je trouve deux sortes d'impostures, les unes à la fortune desquelles la superstition a servi de marchepied, et celles qui, à l'aide de quelques préjugés, ont pu servir à manier l'esprit du peuple pour son propre avantage. Les premiers de ces imposteurs, ce sont les bonzes, les Zoroastre, les Numa, les Mahomet, etc.; pour ceux-là, je vous les abandonne. L'autre espèce sont les politiques qui, pour le plus grand bien du gouvernement, ont eu recours au système merveilleux, afin de mener les hommes, de les rendre dociles. Je compte de ce nombre l'usage qu'on faisait à Rome des augures, dont le secours a souvent été si utile pour arrêter ou calmer des séditions populaires que des tribuns entreprenants voulaient


a Voyez t. XXIII, p. 424 et 425.