<65> et combien cette âme, qui ne se croyait plus ouverte qu'à la douleur, trouve encore de sensibilité en elle pour la reconnaissance qu'elle vous doit à tant de titres. Cette reconnaissance n'est pas un sentiment réservé pour moi seul; tous mes amis le partagent avec la plus tendre vénération pour votre personne. Je voudrais que V. M., sensible comme elle est à la véritable gloire, c'est-à-dire, aux hommages des hommes éclairés et vertueux, pût entendre ce qu'ils disent à la lecture de ces lettres; qu'elle pût apprendre de leur propre bouche combien le grand Frédéric, depuis longtemps l'objet de leurs éloges et de leur admiration, leur paraît digne encore d'être aimé. J'ose croire que ce concert unanime de louanges si douces et si vraies toucherait autant V. M. que les cris de victoire de ses soldats sur les champs de bataille où elle a triomphé tant de fois. Pour moi, Sire, je fais mieux encore que de vous admirer et de vous chérir; je vous écoute, et je profite de vos leçons; je fais tout ce qui est en moi pour me distraire; j'essaye différentes sortes de travaux, d'études, de lectures, d'amusements même; je rassemble chez moi quelques amis certains jours de la semaine; je vais les chercher les autres jours; je prends le plus de part que je puis à leur conversation; je tâche de me persuader que tout ce qui se passe autour de moi me touche, ou du moins m'occupe; je tâche même de le faire croire aux autres par la part apparente que j'y prends. Mes amis me croient quelquefois soulagé et presque consolé; mais quand je ne les ai plus autour de moi, quand, après les avoir quittés, je me trouve seul dans l'univers, privé pour jamais d'un premier objet d'attachement et de préférence, mon âme affaissée retombe douloureusement sur elle-même, et ne voit plus que le vide qui l'environne et qui la flétrit; je suis comme les aveugles, profondément tristes quand ils sont seuls, mais que la société croit gais, parce que le moment où ils conversent avec les hommes est le seul supportable pour eux. J'ai beau suivre le conseil que V. M. veut bien me donner, et dont elle m'apprend qu'elle fait