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195. AU MÊME.

(Juillet 1768.)



Mon cher frère,

Je suis sensible au plaisir que vous voulez me faire de passer par ici avant votre voyage.a Les lettres, mon cher frère, dont vous voulez bien vous charger sont toutes prêtes, et n'attendent que votre arrivée. Le parallèle que je vous ai fait dernièrement était impertinent, et ne doit s'attribuer qu'à la fougue d'un instant de gaîté dont la présence de ma sœur était cause. D'ailleurs, en parlant sérieusement, je sais fort bien me ranger dans la place qui me convient, et je n'ai pas la vaine folie de m'attribuer une supériorité sur les autres que je n'ai point en effet. Mais vous verrez toujours que ceux qui sont dans les grandes agitations, et qui remuent les plus grands ressorts de l'Europe, font plus de sottises que ceux qui se tiennent dans l'inaction, parce qu'il est donné à tous les hommes de commettre des fautes, et plus ils agissent, plus ils en font.

Les affaires de Pologne prennent un mauvais train pour les Russes. Ils seront obligés d'y envoyer de puissants renforts, et s'ils n'ont pas subjugué les confédérés avant l'approche de la diète qui doit se tenir au mois d'octobre, ils verront s'animer un feu qu'ils auront de la peine à éteindre. En attendant, Choiseul nous montre les cieux ouverts, et je compte de participer de son prétendu paradis sans me désunir des autres, parce que ces objets sont compatibles de réunion. J'ai assisté à la Conversion de saint Augustin;b la musique en était belle, et cela me suffit. Le système merveilleux répugne à la simplicité de


a Le prince Henri arriva à Potsdam le 23, et en partit le 26 pour la Hollande.

b Pour inaugurer le Nouveau-Palais, Frédéric y fit exécuter, le lundi 18 juillet 1768, en présence de sa sœur la princesse Amélie, l'oratorio de Hasse, La conversione di Sant' Agostino, paroles de l'électrice Marie-Antonie de Saxe. Voyez ci-dessus, p. 319.