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275. AU PRINCE HENRI.

Le 10 avril 1777.



Mon très-cher frère,

Ce n'est pas à vous de me remercier, mon cher frère, de ce que j'ai été chez vous; cela m'a procuré une véritable satisfaction, et je vous ai trouvé mieux que je ne m'en étais flatté, ce qui me donne à présent la ferme persuasion que, si vous continuez à vous ménager comme vous le faites, vous pourrez encore vivre longtemps, et, mon cher frère, c'est un des principaux objets de mes vœux. Comme je n'ai rien de caché pour vous, mon cher frère, je vous ai confié le renouvellement de notre alliance avec la Russie.a Je dois cependant vous dire en même temps que l'Impératrice exige de moi sur cet article un secret impénétrable, apparemment pour ne point choquer la cour de Vienne. L'Empereur est parti le 2 de ce mois pour Paris, et il ne retournera qu'au mois de juillet chez lui. Quoique van Swieten soit un très-mauvais sujet, ce n'est pourtant que la créature du prince Kaunitz, et cette haine que l'élève nous marque, il l'a sucée à l'école de son maître. Je sais de science certaine que le prince Kaunitz a dit : « Jamais la cour impériale ne doit supporter la puissance prussienne; pour que nous dominions, il faut l'écraser. » Ces paroles sacramentales doivent se conserver dans le cœur de chaque Prussien, pour nous empêcher de nous endormir et de tomber dans une dangereuse sécurité. Il est sûr que cette maison obligera longtemps les souverains de ce pays-ci à être tout nerf, ou ils seront perdus.


a L'alliance entre la Prusse et la Russie, conclue en 1764 (t. VI, p. 13 et 14, et ci-dessus, p. 342), avait été renouvelée pour huit ans à Saint-Pétersbourg le 12 octobre (vieux style) 1769 (t. VI, p. 20 et 26). Le renouvellement dont il est question dans cette lettre eut lieu à Saint-Pétersbourg le 16 mars (v. st.) 1777, également pour huit ans. En 1781, l'Impératrice refusa de renouveler cette alliance. Voyez t. XXV, p. 350 et 351.