<550> de mérite. On ne se soucie point du choix des moyens pour l'acquérir, c'est à qui en aura le plus; dès lors les mœurs se pervertissent, et les vices et les crimes se débordent. Si je ne me trompe, ce fut Agésilas qui, le premier, introduisit l'or de l'Asie à Lacédémone, et dès lors l'ancienne discipline fut altérée. A Rome, ce fut tout l'argent qu'on y apporta d'Espagne, de Carthage, de la Macédoine et de la Syrie, qui amollit le Latium, et qui pervertit les citoyens. En Angleterre, ce furent les richesses qui, du temps de Cromwell, inondèrent la Grande-Bretagne qui introduisirent une débauche effrénée et la licence des mœurs. En général, pour que les hommes soient vertueux, il faut qu'ils jouissent d'un sort médiocre, qu'ils ne soient ni trop pauvres, ni trop riches; ajoutez-y qu'ils s'occupent, et que le travail les distraie des malices et des méchancetés que l'oisiveté ferait éclore dans leurs cerveaux. Il y a dans les montagnes de la Silésie une population d'environ cinq cent mille âmes, mais laborieuse et simple dans ses mœurs; aussi, depuis quarante années que je gouverne ce pays, n'ai-je signé qu'une seule sentence de mort, n'y ayant eu qu'un seul homme qui ait mérité d'être puni. Dans toutes nos possessions, qui contiennent cinq millions d'âmes passés, il n'arrive presque jamais que, année commune, il y ait plus de douze sentences de mort.a Le seul crime que je ne saurais extirper, et le plus commun, est celui de ces malheureuses qui tuent leurs enfants.b Voilà, mon cher frère, une lettre d'un septuagénaire; vous la recevrez avec indulgence, bien persuadé du tendre attachement et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.


a Voyez t. XXIII, p. 461.

b L. c., p. 462.