<557> moins que nous. Mais toutefois personne ne peut dire que la chose soit impossible; car que me répondrait-on pourquoi l'on prétend que ce globe-ci soit seul peuplé d'animaux, et que tant d'autres ne le sont pas? On ne me répondra rien qui vaille; c'est donc un problème qui reste à résoudre, et qui est assujetti aux conjectures des curieux. Les théologiens se cabreront à cette seule idée; je les abandonne à leurs idées absurdes, et je continue de croire qu'à toute force la chose est possible. Je ne vous parle plus de la comparaison de l'homme à la fourmi de Rheinsberg; vous ne voulez pas l'admettre, mon cher frère; néanmoins on ne m'ôtera jamais de l'esprit que, quelque bruit qu'un homme ait fait dans le monde, il n'en sera pas moins un être infiniment petit ou un atome indiscernable en comparaison de l'univers. Autre chose est faire le bien; c'est un devoir que tout homme doit remplir selon ses moyens, tandis qu'il végète; la société doit faire notre bien, et nous devons travailler réciproquement à son avantage. Nous sommes encore circonscrits dans des bornes étroites; il nous est possible de secourir un homme abîmé de misère; mais nous ne pouvons pas le rendre heureux, parce que le bonheur est un être auquel chacun attache une autre idée, et le fait consister dans de certains objets relatifs à ses passions. Je conclus de là, mon cher frère, que nous sommes bornés en tout, et que les actions auxquelles on attache le plus d'éclat ne sont réellement que des jeux d'enfants. Un ancien a très-bien dit que la vie des hommes se passait à élever ce qui était bas, et à détruire ce qui est élevé.a Fontenelle dit qu'il y a des hochets pour tout âge; cela est très-vrai; surtout si l'on se dépouille des préjugés vulgaires, on est obligé de convenir que nous attachons de l'importance à des vétilles, que nous travaillons comme si notre vie devait être éternelle, et qu'il n'y a rien de solide dans cette vie qu'une conscience sans reproche, s'il y en a. Je me garderais bien de parler ainsi à un jeune homme qui


a Voyez t. XXIV, p. 252, 490 et 519.