<559> être sûr de son fait. Je crois bien que l'Empereur ne veut pas de la guerre dans le moment présent, où ses forteresses ne sont pas achevées, où il n'a pas encore pu amasser toutes les sommes, par ses épargnes, qu'il sait être nécessaires pour la durée de quelques campagnes, où il n'a point encore conclu d'alliance avec la Russie pour la lier définitivement à ses vastes projets, où enfin il lui faut encore quelques opérations de finance pour achever les préparatifs indispensables à l'exécution de ses desseins. Mais, mon cher frère, ces desseins n'en existent pas moins, et si l'on ne le contrecarre pas dans ses négociations, si l'on ne fait avorter à temps ses projets, si l'on ne se maintient pas dans la posture la plus respectable que possible, vous le verrez fondre à l'improviste sur nos possessions, et engager une guerre aussi ruineuse que celle de l'année 1756. L'Empereur a les mêmes vues que celles de sa mère; il travaille à former une alliance pareille en tâchant de liguer les premières puissances de l'Europe contre nous. Je vois tout cela, les détails m'en viennent journellement; comment pourrais-je donc envisager avec sang-froid des manigances aussi dangereuses pour l'Etat dont la conservation est confiée à mes soins, d'autant plus que mon devoir est d'écarter, non pendant ma vie uniquement, mais encore après ma mort, par de bonnes alliances et par tous les moyens que j'ai, les calamités futures que je puis prévoir dans l'avenir. Voilà, mon cher frère, une tâche bien difficile pour mon âge, et qui pourrait fournir une source intarissable d'occupations aux têtes les plus chaudes et les plus éveillées. Si j'envisageais des objets aussi importants avec indifférence, j'agirais indolemment, et je manquerais à ce que je dois à l'État; il faut donc que je rassemble le peu de forces qui me restent, pour remplir mes devoirs selon toute leur étendue. Mon temps est fait, mon cher frère, le monde n'est plus rien pour moi; mais je ne veux avoir rien à me reprocher, et je veux éviter qu'on dise après ma mort que j'ai négligé la moindre chose.