131. AU MÊME.

Péterswaldau, 9 septembre 1762.



Mon cher frère,

Notre siége avance de façon qu'il doit finir bientôt; il le serait déjà, si de certains empêchements n'avaient retardé les travaux, comme, par exemple, des sources d'eau qui ont obligé les mineurs à faire de nouveaux rameaux, ce qui nous a fait perdre deux jours. Mais je puis vous dire à présent avec certitude que j'espère de vous dépêcher le 12 un courrier avec la nouvelle de la reddition de la place.290-a Le maréchal Daun est toujours à Scharfeneck, Loudon à Wüstengiersdorf, et Beck à Wartha.

Notre neveu est allé aujourd'hui assister à un fourrage. Il commence à s'éveiller; mais nous ne sommes que des pygmées en comparaison de lui. Imaginez-vous le prince François, mais plus grand encore; voilà comme il est à présent.

<291>J'ai reçu, ces jours passés, un beau présent de M. Krassnakoff, que ni vous ni moi ne connaissons; il consiste en deux dromadaires chargés d'une lente tartare, et en deux chevaux cosaques. Les dromadaires ont attiré ici une foule prodigieuse, excitée par la curiosité de voir ces singuliers animaux. Un empereur qui serait venu ici en personne n'aurait pas été plus considéré; le camp, le peuple, la noblesse, filles, femmes, enfants, tout est accouru; on n'a parlé huit jours que des dromadaires, à un point qu'ils auraient donné de l'envie à tous ceux qui veulent faire du bruit, et qui veulent que leur nom soit dans la bouche de tout le monde. Je suis tout glorieux de mon équipage asiatique, et je ne doute point qu'il n'ait un succès prodigieux partout où il passera. Je crois, mon cher frère, que cela ne vous touche guère, et que vous apprendriez avec plus de plaisir la retraite du prince de Stolberg, et mieux encore celle de Serbelloni. Je voudrais par des sortiléges vous la procurer, si cette belle science était aussi réelle que nos ignorants d'aïeux l'ont cru. Il faudra voir ce que le temps amènera, et si le ciel n'inspirera pas à nos ennemis l'envie de faire une grosse balourdise, une insigne sottise qui nous débarrasse d'eux. Je le souhaite de tout mon cœur pour vous, pour moi, et pour tout le peuple. Ainsi soit-il!

Adieu, mon cher frère; vous serez insruit de tout ce qui se passera ici, ou de ce que je puis prévoir ou conjecturer. Je vous prie de me conserver votre amitié, et d'être persuadé de la tendresse et de la parfaite estime avec laquelle je suis, etc.


290-a Le 10 septembre 1762, Frédéric écrivit au bas d'un ordre de Cabinet adressé au major Lefebvre, qui faisait les fonctions d'ingénieur en chef au siége de Schweidnitz : « Le 12 sera, selon toutes les apparences, la fin de vos travaux; ce sont deux jours; ils s'écouleront comme les précédents, et vous vous verrez couronné de gloire, le fier Gribeauval à vos genoux, et le bruit de votre gloire retentira jusqu'à Paris, Madrid, Lisbonne et Rome. » Schweidnitz ne capitula que le 9 octobre. Simon Lefebvre, lieutenant-colonel du génie et membre de l'Académie des sciences de Berlin, mourut à Neisse en 1771. Voyez t. V, p. 229 et 230, et t. XIII, p. 61. Voyez aussi les Souvenirs d'un citoyen (par Formey), t. II, p. 142 et suivantes.