210. AU MÊME.

Potsdam, 8 octobre 1770.



Mon très-cher frère,

Vous pouvez sans doute parler en mon nom à l'impératrice de Russie. Vous voyez bien, mon cher frère, qu'il ne vous convient pas d'avoir un créditif. Si vous étiez parti d'ici directement, je vous aurais sans doute chargé d'une lettre pour cette princesse; mais moi qui étais372-a en Moravie lorsque vous deviez entreprendre ce voyage, je ne<373> pouvais en aucune façon vous faire le porteur d'une lettre. D'ailleurs, je n'écris à l'Impératrice que de loin en loin, pour ne la point importuner. Elle m'a fait communiquer, depuis, les conditions auxquelles elle compte faire la paix. Je les trouve si modérées, que je ne doute point de les faire accepter. Je crois qu'une des grandes difficultés que vous rencontrerez là-bas, ce sera de leur faire accepter la médiation des Autrichiens. Comme Solms a reçu l'ordre de vous montrer toute ma correspondance, il ne reste qu'à appuyer les raisons par des arguments que la fécondité de votre génie vous fournira sans doute. L'article qui regarde la pacification de la Pologne sera plus difficile. Il faut lui faire entrevoir que jamais il n'y aura de paix stable, si elle ne relâche pas sur quelques articles, que les dissidents mêmes l'en supplieront, et que, pourvu que la forme de ce gouvernement ne soit pas trop grièvement blessée, j'essayerai de persuader les Autrichiens de forcer, conjointement avec moi, les confédérés à se mettre à la raison, et même à garantir de tout ce qu'on pourra convenir sur le sujet de la Pologne. D'autre part, il est sûr qu'il est de la gloire de l'Impératrice que les troubles de ce royaume soient pacifiés, s'il se peut, même avant que la paix se signe avec les Turcs; car si cela traîne, elle sera obligée d'entretenir sans cesse des troupes en Pologne, et elle ne sera jamais assurée de n'y voir pas renaître des confédérations nouvelles, qui, à la fin, pourraient occasionner des guerres générales, en y mêlant d'autres voisins. Mais j'espère que des raisons que vous devinez sans doute les rendront pacifiques, et les feront passer sur des bagatelles qui, dans le fond, n'importent point à la Russie, et ne préjudicient en rien à la gloire de l'Impératrice. Je m'en repose sur vos talents, mon cher frère, qui mettront ces choses dans un plus beau jour que moi, qui ne fais qu'ébaucher la matière. Je suis, etc.


372-a Les mots qui étais sont omis dans l'autographe.